Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/263

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les rayons de la bonne humeur le voisinage tout entier. Elle se réunit une fois par semaine dans une petite maison à la mode d’autrefois tenue par un joyeux cabaretier du nom de Wagstaff, ayant pour enseigne une demi-lune resplendissante, et la plus séduisante grappe de raisin. Toute la maison est couverte d’inscriptions destinées à attirer l’œil du voyageur altéré, telles que : « Boissons sans mélange, de Truman, Hanbury et Ce ; vin, rhum et eau-de-vie en cave ; vieux tom, rhum et composés, etc. » Car ç’a été, depuis un temps immémorial, un temple de Bacchus et de Momus, et elle n’est jamais sortie de la famille des Wagstaff ; de sorte que l’aubergiste actuel en connaît assez bien l’histoire. Elle fut très-fréquentée par les élégants, les cavalieros du règne d’Élisabeth, et reçut de temps à autre la visite des beaux esprits du temps de Charles II. Mais ce dont Wagstaff s’enorgueillit par-dessus tout, c’est que Henri VIII, dans une de ses promenades nocturnes, cassa la tête de l’un de ses ancêtres avec son fameux bourdon, bien que ceci, soit dit en passant, ait toujours été considéré comme une prétention très-discutable et très-vaniteuse de la part de notre aubergiste.

La société qui tient maintenant ici ses réunions hebdomadaires porte le nom de Club des bruyants enfants de la Petite-Bretagne. Elles abondent en vieilles chansons à refrains, en joyeux couplets, en histoires de choix, qui sont ici de tradition, et que l’on ne rencontrerait sur nul autre point de la capitale. Il y a un entrepreneur de pompes funèbres très-enjoué qui est inimitable pour les chansons joyeuses ; mais la vie du club, et sans contredit le bel esprit de la Petite-Bretagne, c’est le patron lui-même, Wagstaff. Ses ancêtres furent tous des plaisants avant lui, et en même temps que de l’auberge il a hérité d’un vaste répertoire de chansons et de bons mots qui la suivent, comme accessoires, de génération en génération. C’est un petit homme égrillard aux jambes torses et à la panse rebondie, à la face rougeaude, à l’œil joyeusement humide, avec un petit paquet de cheveux gris derrière. À l’ouverture de chaque séance nocturne, on le fait venir pour chanter sa « Profession de foi », qui n’est autre chose que la fameuse et vieille chanson à boire insérée dans l’Aiguille de la mère Gurton. À dire vrai, elle a subi de nombreuses altérations ; mais il la chante telle qu’il l’a reçue des lèvres de son père, car elle a