Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/275

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semble avoir le don de se multiplier dans la même proportion que le bois de la vraie croix, dont il reste encore assez aujourd’hui pour construire un vaisseau de ligne.

Mais ce qui excite au plus haut point la curiosité, c’est la chaise de Shakspeare. Elle est placée dans le renfoncement de la cheminée d’une petite chambre obscure, précisément derrière ce qui était la boutique de son père. C’est là que bien des fois peut-être il s’est assis quand il était enfant ; qu’il a suivi les lentes évolutions de la broche avec toute l’impatiente ardeur d’un bambin ; ou bien encore, le soir, écouté les bonshommes et les commères de Stratford racontant des histoires de revenants et des anecdotes légendaires sur les périodes orageuses de l’Angleterre. Il est d’usage que tous ceux qui visitent la maison s’asseyent sur cette chaise ; si on le fait dans l’espérance de se pénétrer quelque peu de l’inspiration du poëte, c’est ce que je suis assez en peine de dire, je mentionne simplement le fait ; et mon hôtesse m’assura en confidence que, bien que faite de chêne solide, telle était la ferveur du zèle des enthousiastes que la chaise avait besoin d’être garnie à neuf au moins tous les trois ans. Il est digne de remarque aussi, dans l’histoire de cette chaise extraordinaire, qu’elle participe quelque peu de la nature volatile de la Santa Casa de Lorette, ou de la chaise volante de l’enchanteur arabe ; car, bien que vendue il y a quelques années à une princesse du nord, cependant, chose étrange à dire, elle a trouvé moyen de revenir prendre sa place au coin de la vieille cheminée.

Je suis toujours, en de telles matières, facile à persuader, et toujours disposé à me laisser tromper, pourvu que la tromperie soit agréable et qu’il n’en coûte rien. Je suis donc un croyant-né aux reliques, légendes et anecdotes locales de fantômes et de grands hommes, et conseillerais à tous les voyageurs qui voyagent pour leur agrément de faire de même. Qu’est-ce que cela nous fait que ces histoires soient vraies ou fausses, du moment que nous pouvons nous persuader à nous-mêmes qu’elles sont vraies, et jouir de tout le charme de la réalité ? Il n’est rien de tel en ces matières qu’une crédulité bonne personne, et dans cette occasion j’allais même jusqu’à donner, avec la plus grande bonhomie possible, créance aux prétentions de mon hôtesse à une descendance directe du poëte, quand, malheureusement pour ma conviction,