Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/277

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de chaumière, faisait tic tac de l’autre côté de la chambre ; elle était flanquée d’une bassinoire resplendissante et de la canne des dimanches, à pomme de corne, du vieillard. La cheminée, comme toujours, était large et assez profonde pour admettre entre ses jambages un groupe de commères. Dans un coin était assise, cousant, la petite-fille du vieillard, une jolie fille aux yeux bleus, — et dans le coin faisant face se trouvait un vieux compère, qu’en parlant il appelait John Ange, et qui, je le découvris, avait été son camarade depuis l’enfance. Ils avaient joué ensemble quand ils étaient petits ; ils avaient ensemble travaillé pendant l’âge viril ; maintenant ils traversaient en chancelant et passaient en commérages le soir de leur vie, et dans quelque temps ils seront probablement enterrés ensemble dans le cimetière à côté. Il est rare que nous voyions deux courants d’existence couler ainsi tranquillement, également, côte à côte ; c’est seulement dans de pareilles « scènes intimes » de la vie qu’on peut les rencontrer.

J’avais espéré recueillir de la bouche de ces vieilles chroniques quelques anecdotes traditionnelles sur le grand poëte ; mais ils n’avaient rien de nouveau à m’apprendre. Le long intervalle pendant lequel les écrits de Shakspeare sont restés dans un oubli comparatif a étendu son ombre sur son histoire, et c’est sa bonne ou sa mauvaise fortune qu’il reste à peine autre chose à ses biographes qu’une maigre poignée de conjectures.

Le sacristain et son compagnon avaient été employés comme charpentiers aux préparatifs du célèbre jubilé de Stratford, et ils se souvenaient de Garrick, le premier moteur de cette fête, qui présida aux arrangements, et qui, d’après le sacristain, était « un petit homme-polichinelle très-remuant et très-éveillé ». John Ange avait aussi concouru à abattre le mûrier de Shakspeare, dont il avait un morceau dans sa poche, à vendre ; sans nul doute un merveilleux accoucheur de conceptions littéraires.

Cela me peina d’entendre ces deux honorables personnes parler d’une façon très-ambiguë de l’éloquente dame qui montre la maison de Shakspeare. John Ange secoua la tête quand je mentionnai sa précieuse et inépuisable collection de reliques, notamment ses restes du mûrier ; et le vieux sacristain exprima même le doute que Shakspeare fût né dans sa maison. Je m’aperçus bientôt qu’il voyait de mauvais œil son établissement, comme