Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gènes, avec quelle facilité les colons se laissèrent entraîner aux hostilités par leur soif de conquête, quelle guerre impitoyable, quelle guerre d’extermination ils leur firent. Que d’êtres intelligents ont été supprimés ! combien de braves et nobles cœurs, marqués au meilleur coin de la nature, ont été terrassés, brisés et foulés aux pieds dans la poussière ! L’imagination recule devant cette idée.

Tel fut le sort de Philippe de Pokanoket, guerrier indien dont le nom répandait jadis la terreur dans le Massachussetts et le Connecticut. C’était le plus illustre de la foule de Sachems qui, vers le même temps, régnaient sur les Pequods, les Narrhagansets, les Wampanoags et les autres tribus de l’est, à l’époque du premier établissement de la Nouvelle-Angleterre ; bande de héros nés sans culture, qui firent la plus généreuse résistance dont la nature humaine soit capable, combattant jusqu’au dernier soupir pour la cause de leur pays, sans une espérance de triomphe comme sans une pensée de renommée. Dignes d’un siècle de poésie, sujets merveilleux pour l’histoire locale et la fiction romanesque, ils ont à peine laissé quelques traces authentiques sur la page de l’histoire, mais s’avancent fièrement, comme des ombres gigantesques, dans le crépuscule voilé de la tradition[1].

À l’origine, quand les pèlerins (c’est ainsi que les colons de Plymouth sont appelés par leurs descendants) trouvèrent sur les rivages du nouveau monde un asile contre les persécutions religieuses de l’ancien, leur situation était au dernier point menaçante et désespérée. En petit nombre, et ce petit nombre succombant rapidement, enlevé par les maladies et les fatigués ; environnés par un désert rempli de hurlements et de tribus sauvages ; exposés aux rigueurs d’un hiver presque arctique et aux vicissitudes du climat le plus fantasque, leur esprit était agité des plus funestes pressentiments, et il fallut toute la puissante excitation de l’enthousiasme religieux pour les empêcher de s’abandonner au désespoir. Dans cette affreuse situation,

  1. Pendant qu’il corrige les épreuves de cet article, l’auteur est informé qu’un célèbre poëte anglais a presque terminé un poëme héroïque sur l’histoire de Philippe de Pokanoket.