Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

écrasants. Ces désastres sous le poids desquels le courage de l’homme reste anéanti, qui le font rouler dans la poussière, semblent évoquer toute l’énergie de ce sexe délicat, et impriment à leur caractère une telle intrépidité, une telle élévation, que parfois elles deviennent presque sublimes. Rien ne peut être plus touchant que de voir une femme douce et frêle, qui n’était que faiblesse et que misère, dont la moindre pierre déchirait les pieds, alors qu’elle foulait les sentiers de la prospérité, grandir tout à coup en force morale pour être la consolation et l’appui de son mari dans l’infortune, et résister avec un inébranlable courage aux plus terribles rafales de l’adversité.

De même que la vigne qui longtemps enlaça le chêne de son gracieux feuillage et s’appuya sur lui pour se réchauffer aux rayons du soleil, si l’arbre majestueux vient à s’entr’ouvrir frappé par la foudre, jette autour de lui ses tendrons caressants et cherche à relier ses rameaux brisés, la Providence a voulu, et c’est un de ses beaux décrets, que la femme, sujette et simple ornement de l’homme aux jours de la fortune, fût son soutien et sa consolation quand le vent du malheur vient à souffler ; qu’elle s’insinuât dans les replis les plus rugueux de sa nature, soutînt avec amour la tête qui penche, et relevât le cœur brisé.

Je félicitais un jour un ami dont la famille s’épanouissait autour de lui, reliée par la plus vive affection. « Je ne puis vous souhaiter de plus grand bonheur, me dit-il avec enthousiasme, que d’avoir une femme et des enfants. — Êtes-vous heureux, ils sont là pour prendre leur part de votre bonheur ; ne l’êtes-vous pas, ils sont là pour vous consoler. » Et en effet, j’ai observé qu’un homme marié tombant dans le malheur reconquérait plutôt sa place dans le monde qu’un célibataire ; d’abord, parce que les besoins de ces êtres aimés et sans force qui n’attendent leur subsistance que de lui le stimulent plus énergiquement au travail ; mais surtout parce que les affections de la famille le calment et relèvent son courage, qu’il conserve vivace sa confiance en lui-même quand il voit que bien qu’au dehors tout soit pour lui ténèbres et abaissement, cependant il a encore dans son intérieur un petit monde d’amour dont il est le roi. Tandis qu’un célibataire est porté à se laisser aller au plus profond découragement, à l’oubli de soi-même, à s’imaginer qu’il