Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/311

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trouvé largesses et protection ; mais quand il vit que les nuages de l’adversité se formaient autour de son patron, il abandonna son service et revint aux blancs ; et afin de s’attirer leurs bonnes grâces, il accusa son ancien bienfaiteur de comploter contre leur sûreté. Une enquête rigoureuse eut lieu. Philippe et plusieurs de ses sujets consentirent à être interrogés ; mais rien ne fut prouvé contre eux. Les colons, cependant, avaient été trop loin pour reculer ; ils étaient déterminés à voir dans Philippe un dangereux voisin ; ils avaient d’ailleurs publiquement donné des marques de leur défiance, et avaient fait assez pour s’assurer son inimitié : sa mort était donc, selon le mode habituel de raisonnement en pareil cas, devenue nécessaire à leur sécurité. Peu de temps après Sausaman, le perfide délateur, fut trouvé mort dans un étang ; il avait été victime de la vengeance de sa tribu. Trois Indiens, dont l’un était le conseiller, l’ami de Philippe, furent appréhendés et jugés, et, sur la déposition d’un témoin très-discutable, furent condamnés et exécutés comme meurtriers.

L’indigne traitement éprouvé par ses sujets, cette ignominieuse punition infligée à son ami, blessèrent profondément l’orgueil et mirent le comble à la colère de Philippe. La foudre était tombée à ses pieds ; il leva la tête, vit que l’orage grossissait, et résolut de ne pas rester plus longtemps au pouvoir des blancs. Le sort de son frère insulté, dont on avait brisé le cœur, pesait toujours sur son esprit ; et c’était encore un avertissement que la tragique histoire de Miantonimo, grand Sachem des Narrhagansets, qui, après avoir en homme affronté ses accusateurs devant un tribunal de colons, s’être disculpé d’une imputation de complot et avoir reçu des assurances d’amitié, avait été perfidement mis à mort à leur instigation. Philippe réunit donc ses guerriers autour de lui, attacha le plus d’étrangers qu’il put à sa cause, envoya les femmes et les enfants aux Narrhagansets, pour qu’ils fassent en sûreté, et plus jamais ne se montra nulle part qu’entouré d’hommes armés.

Les deux partis se trouvant ainsi dans un état de méfiance et d’irritation, la moindre étincelle devait suffire pour les enflammer. Les Indiens avaient des armes sous la main ; ils devinrent malfaisants et commirent quelques déprédations. Dans une de leurs maraudes, un colon fit feu sur un guerrier et le tua. Ce fut le si-