Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/334

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John sans un vif sentiment d’intérêt. Avec toutes ses humeurs fantasques et ses préjugés enracinés, c’est un vieux bonhomme au cœur d’or. Peut-être n’est-il pas aussi merveilleusement beau garçon qu’il le croit lui-même ; mais il est au moins deux fois aussi bon que ses voisins le représentent. Ses vertus sont toutes à lui, toutes simples, familières et naïves. Ses défauts mêmes empruntent quelque chose à la richesse de ses bonnes qualités. Son extravagance sent sa générosité, son humeur querelleuse son courage, sa crédulité sa franche bonne foi, sa vanité son légitime orgueil, et sa rudesse sa sincérité. Elles sont toutes le trop plein d’une belle et généreuse nature. Rude au dehors, mais sain et vigoureux au dedans, il ressemble à son vieux chêne, dont l’écorce a les excroissances en proportion de la grosseur du tronc, et dont les branches font entendre, par le moindre orage, un gémissement et un murmure effrayants, à raison même de leur ampleur et du luxe de leur feuillage. Il y a quelque chose aussi, dans l’aspect de sa vieille résidence de famille, qui est extrêmement poétique et pittoresque ; et aussi longtemps qu’on pourra la rendre confortablement habitable, je tremblerais presque d’y voir toucher, dans le conflit actuel des goûts et des opinions. Quelques-uns de ses conseillers sont assurément de bons architectes, qui pourraient être utiles ; mais beaucoup, je le crains, sont de purs niveleurs, qui, lorsqu’ils auraient une fois obtenu de battre de leurs pioches ce vénérable édifice, ne s’arrêteraient point avant qu’ils l’eussent jeté bas et se fussent peut-être ensevelis eux-mêmes sous les décombres. Tout ce que je souhaite, c’est que les embarras présents de John puissent lui apprendre à être plus circonspect à l’avenir. Puisse-t-il cesser de se troubler l’esprit des affaires des autres, abandonner ses infructueux efforts pour faire du bien à ses voisins et donner la paix et le bonheur au monde, à grand renfort de bâton ; rester tranquillement chez lui, arriver petit à petit à réparer sa maison ; cultiver son riche domaine selon sa fantaisie ; être économe de son revenu — s’il le juge à propos ; faire rentrer dans le devoir ses enfants indisciplinés — s’il le peut ; renouveler les scènes joyeuses de l’antique prospérité ; et jouir longtemps, sur son sol héréditaire, d’une verte, honorable et rieuse vieillesse.