Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/336

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et aux douleurs du monde, et donne, dans la sérénité de son déclin, l’assurance qu’il aura bientôt un glorieux réveil.

Je m’étais assis sur une tombe à demi recouverte, et rêvais, comme on est enclin à le faire à cette heure des pensées sérieuses, aux scènes passées et aux amis de jeunesse, — à ceux qui étaient au loin et à ceux qui n’étaient plus, — me laissant aller à cette espèce d’imagination mélancolique qui a quelque chose en soi de plus doux encore que le plaisir. De temps à autre le son d’une cloche parti de la tour voisine venait frapper mon oreille ; ses accents étaient à l’unisson de la scène, et, loin de jeter le trouble dans mes sensations, s’harmonisaient avec elles ; et il s’écoula quelque temps avant que je me souvinsse qu’elle devait tinter le glas de quelque nouvel occupant de la tombe.

Au même moment je vis un convoi funèbre traverser la pelouse du village ; il serpenta lentement le long d’un sentier bordé de haies, s’enfonça, reparut à travers les percées de la haie, et enfin passa près de l’endroit où j’étais assis. Le drap mortuaire était soutenu par des jeunes filles vêtues de blanc ; une autre, âgée de dix-sept ans environ, précédait le convoi une guirlande de fleurs blanches à la main, pour indiquer que la défunte était jeune et vierge. Le corps était suivi par les parents : c’était un vénérable couple, et de la première classe des paysans. Le père semblait comprimer ses sentiments ; mais la fixité de son regard, la contraction de son front, les rides profondes de son visage, disaient la lutte qui se passait en lui. Sa femme se suspendait à son bras, pleurant et criant à la fois avec les convulsifs éclats d’une douleur de mère.

J’accompagnai le cortège à l’église. La bière fut placée dans la nef, et la guirlande de fleurs blanches, ainsi qu’une paire de gants blancs, suspendue au-dessus du siége qu’avait occupé la défunte.

Tout le monde sait de quelle puissante émotion l’âme est étreinte pendant un service funèbre ; car est-il quelqu’un d’assez heureux pour n’avoir jamais escorté vers la tombe un être qu’il chérissait ? Mais quand il s’accomplit au-dessus des restes mortels de l’innocence et de la beauté, fauchées dans l’épanouissement de la vie, — peut-il y avoir quelque chose de plus touchant ? À la simple mais si solennelle consignation du corps au