Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/364

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qui aurait pu servir d’église, et dont toutes les fenêtres et les fissures semblaient crever sous les trésors de la ferme. Le fléau y résonnait sans se lasser du matin jusqu’au soir ; dés hirondelles et des martinets rasaient les gouttières en poussant des cris aigus, et des rangées de pigeons, les uns l’œil regardant en haut, comme s’ils examinaient le temps, ceux-ci la tête sous l’aile ou ensevelie dans leur jabot, d’autres se gonflant et roucoulant et faisant les galants auprès de leurs compagnes, se prélassaient sur le toit aux rayons du soleil. D’énormes pourceaux au poil lisse grognaient dans le repos et l’abondance de leurs parc, d’où s’élançaient de temps à autre des bandes de cochons de lait, pour venir renifler l’air. Un grave escadron d’oies blanches comme la neige naviguait dans un étang voisin, escortant des flottilles de canards ; des régiments de dindons glougloutaient dans la cour de la ferme, et des poules d’Afrique l’arpentaient d’un air courroucé, comme des ménagères acariâtres, en poussant leur cri hargneux et rageur. Devant la porte de la grange marchait fièrement le noble coq, ce type de l’époux, du guerrier et du fin gentleman, faisant choquer ses ailes brillantes et coqueriquant dans l’orgueil et la joie de son cœur, — déchirant et creusant parfois la terre avec ses ergots, et alors appelant généreusement son insatiable famille d’épouses et d’enfants pour partager la riche aubaine qu’il avait faite.

L’eau venait à la bouche du pédagogue pendant qu’il embrassait du regard ces magnifiques promesses de splendide régal pour l’hiver. L’œil dévorant de son esprit lui peignait chaque cochon de lait rôti, circulant à la ronde avec un pudding dans le ventre et une pomme dans son groin ; les pigeons étaient chaudement mis au lit dans un confortable pâté, bien bordés avec une couverture de croûte ; les oies nageaient dans leur propre jus, et les canards s’accouplaient agréablement dans les plats, comme de respectables paires d’époux, avec la quantité convenable de sauce à l’oignon. Déjà dans les pourceaux il voyait, découpée, la savoureuse tranche de lard et l’appétissant, le succulent jambon ; pas un dindon qui ne lui apparût délicatement troussé, avec son gésier sous son aile, et, d’aventure, un collier de délicieux saucissons ; jusqu’au coq à la voix sonore lui-même, qui gisait sur le dos, étendu tout de son long et formant un des plats de côté,