Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/373

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merles aux notes précipitées, s’envolant par bandes noires ; et le pivert aux ailes d’or avec son panache cramoisi, son large gorgerin noir et son plumage splendide ; et l’oiseau du cèdre, avec ses ailés nuancées de rouge et sa queue nuancée de jaune, et son petit bonnet de cavalier, fait de plumes ; et le geai bleu, ce muscadin bavard, dans son élégant habit bleu clair et son blanc vêtement de dessous, jetant des cris aigus et caquetant, remuant la tête et frappant du bec et faisant la révérence, et affectant d’être en de bons termes avec tous les chantres du bocage.

Cependant qu’Ichabod avançait lentement et par secousses, son œil, toujours ouvert au moindre symptôme d’abondance culinaire, s’égarait avec délices sur les trésors dé l’automne. Partout il voyait d’immenses quantités de pommes, celles-ci étageant sur les arbres leur massive opulence, celles-là serrées pour le marché dans des paniers et des barils, d’autres amoncelées en piles étincelantes pour le pressoir au cidre. Plus loin il découvrait d’immenses champs de blé de Turquie, avec ses épis d’or perçant sous leur couvert de feuilles, qui faisaient briller aux yeux la promesse de gâteaux et de bouillie ; et les citrouilles jaunes couchées au pied, qui tournaient du côté du soleil leurs belles panses arrondies et dévoilaient d’amples perspectives de tourtes des plus savoureuses ; et puis voilà qu’il traversait des champs de sarrasin parfumés, respirant l’odeur de la ruche ; et comme il les contemplait, son esprit mordait doucement, par anticipation, à de friands gâteaux bien beurrés et garnis de miel ou de mélasse par la délicate petite main à fossettes de Katrina Van Tassel.

Nourrissant ainsi son esprit d’une foule de douces pensées et « d’hypothèses sucrées », il faisait route le long des flancs d’une chaîne de collines qui encaissent quelques-unes des plus charmantes scènes qu’offre le majestueux Hudson. Le soleil, tournant sur ses roues, plongeait peu à peu son large disque dans l’Occident. Le vaste sein du Tappaau Zee dormait immobile et poli comme un miroir, hormis que çà et là une molle ondulation balançait et prolongeait l’ombre bleue d’une montagne lointaine. Quelques nuages ambrés flottaient dans le ciel sans trouver un souffle d’air pour les pousser. L’horizon était d’une jolie teinte d’or se fondant graduellement dans un vert-pomme clair, pour de là passer au bleu foncé de la voûte céleste. Un oblique rayon s’attardait sur