Page:Irving - Le Livre d’esquisses, traduction Lefebvre, 1862.djvu/57

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par cœur. Il en est bien qui affectèrent toujours de douter de son authenticité, qui répétèrent que Rip avait eu une absence d’esprit, et que c’était un sujet sur lequel il n’avait pas encore la tête bien saine ; mais les vieux habitants d’origine hollandaise y ajoutèrent presque universellement foi, et aujourd’hui même ils n’entendent jamais retentir le tonnerre sur les monts Kaatskill, par une orageuse après-midi d’été, qu’ils ne disent : « Hendrick Hudson et sa bande sont en train de jouer aux quilles ; » et c’est, dans le voisinage, un vœu familier à tous les maris menés par leurs femmes, quand la vie leur pèse lourde sur les bras, que de pouvoir puiser le repos dans le flacon de Rip Van Winkle.

NOTE.

On pourrait supposer que le récit qui précède fut suggéré à M. Knickerbocker par une petite superstition germanique au sujet de l’empereur Frédéric Barberousse et du mont Kypphaüser ; la note ci-dessous cependant, qu’il avait jointe à son récit, montre que c’est un fait certain, qu’il a narré avec sa fidélité ordinaire :

« L’histoire de Rip Van Winkle peut sembler incroyable à beaucoup de monde, mais je n’y ajoute pas moins la foi la plus entière, car je sais que le voisinage de nos vieux établissements hollandais fut très-souvent le théâtre d’événements et d’apparitions merveilleux. En vérité j’ai entendu des histoires bien autrement étranges que celle-ci dans les villages qui bordent l’Hudson, et qui toutes étaient trop bien appuyées pour admettre le moindre doute sur leur authenticité. J’ai moi-même entretenu Rip Van Winkle, qui, la dernière fois que je le vis, était un vieillard très-vénérable, et causait avec tant de raison, avait dans l’esprit tant de lucidité, quand on le plaçait sur tout autre terrain, que personne, je crois, ne pouvait consciencieusement refuser de prendre ceci par dessus le marché. Il y a plus : j’ai vu, à ce propos, un certificat requis devant un juge de paix de campagne, et signé d’une croix, de la main même du juge de paix. L’histoire est donc d’une incontestable authenticité.

« D. K. »