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L’annonce de cette fête insolite avait parcouru la petite ville. Des têtes d’enfants s’échafaudaient derrière les vitres de l’hôtel. Des hommes en casquette et en veste de chasse entraient dans la salle, s’accoudaient au comptoir, et faisaient mine de causer entre eux, en ouvrant de grands yeux et de grandes oreilles. Des jeunes gens s’assirent dans un coin, avec des poses, des mines affectées, dans l’intention évidente de séduire les actrices. Et des gens passaient et repassaient sur la petite place, devenue grouillante comme par un jour de foire.

Les acteurs chantaient encore en prenant le café. Ils chantaient toujours sur le quai de la gare, puis dans les wagons où ils s’entassèrent. Et le train, en démarrant, interrompit un grand discours de Ficelle, soudain jailli à mi-corps par la portière :

— Habitants de Machin-sur-Chose, c’est au nom de l’art dramatique tout entier…

Dans la petite ville, on vient de fonder une société dramatique, et l’on devra y jouer des pièces à grand spectacle, afin de pouvoir donner des rôles à tous les amateurs qui se font inscrire. Des jeunes filles apprennent des tirades, en cachette, dans de vieux volumes de Racine ou de Dumas fils, retrouvés sous la poussière des greniers. Et il y a de grandes discussions, le soir, sous la lampe familiale, entre des pères qui font l’apologie du commerce des denrées coloniales, et des fils qui veulent aller à Paris, pour entrer au Conservatoire.

Ils ont vu, de leurs yeux vu, que le métier d’acteur est le plus agréable qu’il y ait au monde. Ils n’en veulent plus choisir un autre.