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ton, je lui lance à la figure son carnet de blanchissage, que je tenais encore à la main. J’emballe dans un solide papier gris, noué d’une bonne ficelle, ton cahier, ton précieux cahier… C’est d’un distrait, hein ? cette minutie, ces menues précautions… Je saute dans mon auto, je brûle la route, de Trouville à Paris, sans avoir le moindre accident, la moindre panne, comme il en arrive toujours aux gens distraits, et je tombe chez toi en temps utile, grâce à ma décision, à ma présence d’esprit, pour te remettre ce fameux cahier… Voilà comme je suis distrait !

Et il donna une furieuse secousse à l’anneau de bronze, que ses doigts n’avaient pas lâché.

— As-tu dit ou fait dire à ta femme pourquoi tu devais partir, où tu allais ? demanda Jean.

— Je… C’est-à-dire… non ! avoua Théodule… Elle doit même être bigrement inquiète, cette pauvre Louise… Mais tu comprends : ton cahier… tes affaires… Ce n’est pas de la distraction, ça, c’est du dévouement !… Le certain, c’est qu’elle va me rendre la vie impossible pendant huit jours… Elle n’est pas teigne à moitié, Louise, quand je l’ai laissée dans l’inquiétude… Voilà ce que tu me vaux, avec toutes tes histoires !

— Funestes conséquences de ton incurable distraction ! prêcha Jean. Il suffisait de prévenir un domestique, de laisser un mot…

Mais Théodule ne l’écoutait pas. Les doigts noués autour de l’anneau de bronze, qu’il semblait considérer, depuis quelques minutes, comme un ennemi personnel, il le tiraillait, le tordait à gauche, à droite, d’une main machinale et inlassable. Soudain, les sourcils froncés, les dents serrées, comme un homme résolu à en finir, il donna une furieuse secousse.