Heureusement, la réplique de Marbrerot arrivait. Sur ces mots de Pauline : « Non ! Non ! Je ne veux pas ! » il se mit à piétiner in crescendo, pour imiter un pas qui se rapproche, fit trois enjambées sur la scène, puis s’arrêta, fièrement campé, un poing sur la hanche. Et il prit un temps, un long temps, pour permettre au public de l’admirer tout à son aise, mais dont Rosemonde profita pour lui souffler tranquillement : « Donnez-moi la Tomate, m’sieur Marbrerot. »
Le colonel débutait par une tirade de cent cinquante vers, avec deux effets bien marqués. Hélas ! aucun ne porta, car le petit jeune homme qui voulait s’engager, planté derrière le colonel, accompagnait chaque vers de ce murmure obstiné : « Donnez-moi la Tomate, m’sieur… Donnez-la-moi, siouplaît… »
Allez donc soulever l’enthousiasme des foules, dans des conditions pareilles ! Marbrerot faillit se couper à deux reprises. Il sauta trois vers, et ne sut pas graduer à son gré les grondements du premier creux de France. Aussi, pas un applaudissement n’éclata, et le public des troisièmes galeries lui-même, le vrai public pour ceux qui parlent très haut d’honneur et de vertu, le public des apaches et des filles de joie, ne donna pas le moindre signe d’emballement.
C’est alors que se plaçait la grande tirade de trois cent quarante-huit vers, la plus belle, celle que Marbrerot déclamait en serrant le brave petit jeune homme dans ses bras, contre son cœur. Seulement, le brave petit jeune homme y mettait de la mauvaise volonté. Affalé sur le dolman trop étroit, oppressant tant qu’il pouvait le premier creux de France, malgré les coups de coude et les coups de pied, il recommençait à murmurer imperturbablement : « La Tomate, m’sieur Marbrerot… Donnez-moi la Tomate, siouplaît… »