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jamais remarqué que les jeunes gens y fussent en proportion anormale. Depuis cette époque, au contraire, il répétait vingt fois par jour :

— C’est incroyable, c’est inouï ce qu’il passe de jeunes gens sur cette route !

C’est que plus un seul jeune homme n’y passait sans attirer l’attention de Pou, car Li-Li, toujours à se promener, coquetait avec tous, échangeait tout le long du jour, avec chaque passant qui en valait la peine, des œillades, des sourires, des propos badins qui navraient le cœur du pauvre mari.

Il avait prié, grondé, menacé. Elle avait fait l’étonnée, protesté doucement, puis pleuré comme une pauvre petite fille qu’on punit injustement. De sorte que Pou avait pleuré à son tour, très malheureux et très repentant d’avoir osé faire de la peine à sa chère petite Li-Li. Alors elle l’avait consolé, en le caressant, en l’appelant grande bête, tandis qu’une mince lueur amusée et triomphante passait dans ses petits yeux noirs. Il y avait eu des scènes pareilles tous les jours, pendant quelques mois. Puis, au moment où Pou commençait à être moins malheureux, à se persuader que sa femme était sans doute un peu frivole, un peu coquette, un peu paresseuse, mais pas méchante au fond et bien incapable de le tromper, à ce moment Li-Li avait disparu soudain, sans explication préalable et sans un mot d’adieu. Les voisins, réconciliés avec Pou pour la circonstance, lui apprirent d’un air apitoyé et un peu railleur qu’on avait vu sa femme s’en aller en compagnie d’un jeune homme de Kalgan, qui, depuis quelques semaines, passait sur la route un peu plus souvent que de raison. Et, comme les fugitifs étaient à cheval, qu’ils avaient plusieurs heures d’avance, que le mari ne possédait même pas un