Aller au contenu

Page:Ista - Contes & nouvelles, tome III, 1917.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
40

torne s’essuya les mains, puis, empoignant Jolimont par les épaules, elle lui posa sur les lèvres un gros baiser de nourrice. « Mon homme, bégaya-t-elle, mon homme à moi,… mon beau Gaston,… mon beau chéri ! » Et elle se reculait pour mieux le voir, pour mieux l’admirer, puis elle revenait l’embrasser encore.

Lui se laissait faire, tranquille et souriant, tout en enlevant son pardessus. Dès qu’il fut assis, elle s’installa sur ses genoux, gracieuse et légère comme une petite fille de cent quatre-vingts livres, et elle zézaya, avec le charme particulier aux pendules qui retardent, aux billets de théâtre qui arrivent deux jours après la représentation, et aux femmes vieilles et laides qui se croient toujours jeunes et jolies : « Qui c’est le plus fidèle, le plus beau, le plus adoré de tous ? » Il répondit, sur le ton d’une leçon depuis longtemps apprise et souvent répétée : « C’est Gaston, le petit chéri à sa Julie. » « Pourquoi, continua la grosse dame, êtes-vous mon beau petit homme à moi toute seule ? » Et il zézaya à son tour : « Parce que ma petite femme chérie a quitté son mari, ses enfants, sa belle maison, et tout… qu’elle s’est fait déshériter par son papa pour suivre le pauvre petit artiste, pour vivre dans la dêche avec lui. » — « Et parce que, ajouta la frêle amoureuse, elle n’a vécu que pour vous depuis dix ans, qu’elle vous pomponne, qu’elle vous bichonne, et qu’elle trouve qu’il n’y a pas un plus bel homme au monde que son beau Gaston, que son beau petit homme, que son adoré, que son dieu ! Dites que c’est pour ça aussi. » — « C’est pour ça aussi », répéta-t-il, docile et ridicule. Elle l’embrassa encore, puis, pâmée, roula sa tignasse noire et graisseuse sur l’épaule où la petite Yoyo, tout à l’heure, avait posé sa petite tête blonde et frisée. Et elle murmura, les yeux fixes,