geois, dont ruse et malice sont les péchés mignons, le tiennent pour sorcier, et se gardent de parler affaires devant lui. Car, monomane de la justice comme d’autres le sont des grandeurs ou de la persécution, il ignore l’art des ménagements de la façon la plus absolue, et, sa conviction une fois faite, il l’exprime, sans souci des intérêts qui peuvent être en jeu, avec opiniâtreté et véhémence, par les seuls mots qu’il puisse articuler : « Bon… Pas bon… » Or, fait digne de remarque, et qui n’est pas à la louange des hommes en général, ni des paysans en particulier, cet être d’une clairvoyance singulière, quand il intervient avec son rude sans-gêne dans les affaires d’autrui, emploie le second terme bien plus souvent que le premier, ce qui lui a valu son sobriquet : « Pas-bon ». Pour moi, j’ai su conquérir son estime, chose rare et difficile, et j’avoue que j’en suis très fier.
— Je vous abandonnerais volontiers ma part de son estime, déclara Hougnot, s’il m’avait cédé en échange sa part de pommes de terre. Mais il a tout mangé, le goulu !
Marie regardait curieusement l’idiot, qui s’était accroupi auprès d’elle. Déjà familiarisée avec son aspect, et tout à fait rassurée par ce qu’en disait le docteur, elle empoigna à pleine main la tignasse de Pas-Bon, et lui secoua la tête avec la tendre rudesse que les femmes prodiguent volontiers aux êtres asservis : hommes aimants ou animaux domestiques.
L’idiot ne recevait sans doute que de bien rares caresses, car il fit d’abord un brusque mouvement de recul, tandis que son regard apeuré dardait une interrogation méfiante sur les yeux de la jeune fille. Elle rit, un peu nerveusement, tels les enfants qui jouent avec le danger, empoigna de nouveau la tête crépue et la secoua comme celle d’un caniche. Peu à peu, le regard de Pas-