Page:Ista - Par un beau dimanche, 1921.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en paroles, à l’idée trop haute et très fausse qu’on se fait en général de la majesté humaine, même parmi ceux qui se croient ses pires contempteurs…Donc, en grandissant, Pas-Bon s’avéra idiot sous la plupart des rapports, et, par une étrange compensation, merveilleusement doué sur deux points bien définis : l’intuition psychologique et l’amour de la justice, qualités développées chez lui à un tel point, qu’elles en feraient un être d’élite ou un monstre, s’il n’était empêché par ailleurs de prendre un contact réel avec l’humanité. Oui, je l’affirme, si le déséquilibre de ses facultés avait été un peu moins flagrant, et servi par un vocabulaire de quelque étendue, Pas-Bon eût fait un merveilleux prophète et un saint vénéré dans l’Orient d’autrefois, un dangereux anarchiste dans l’Europe d’aujourd’hui.

— Un saint aurait donné toutes ses pommes de terre, protesta Hougnot.

— J’ai déjà reconnu, répliqua le docteur, que Pas-Bon ignore l’esprit de sacrifice. En quoi, du reste, il ne se différencie guère de la presque totalité des humains. Le jour où chacun comprendrait enfin à quels renoncements l’obligerait une stricte application du pacte social…

— Le pacte social ne peut m’obliger à écouter vos divagations, remarqua poliment Hougnot. Votre Pas-Bon est un crétin, voilà tout. Et ceux qui perdent leur temps à l’étudier ne sont guère moins bêtes que lui. Moi, je trouve qu’on devrait enfermer cet individu.

— C’est un des êtres les moins nuisibles que je connaisse, sans excepter personne, affirma le docteur. Il n’abuse pas de ses avantages, comme font tant d’autres ; car, doué d’une force peu commune, il n’a jamais frappé homme ou bête, même quand il fut injurié ou molesté. Il ne vole pas, ne braconne pas. Il vit de pain, de lard et de pommes de terre qu’il échange, — car il ignore