bétail affolé ; il vit des trains arrêtés et rebroussant chemin dans la pampa américaine, devant la ruée toute-puissante des troupeaux de buffles ; il vit, aussi nettement que si le fait se passait sous ses yeux, Jonas disparaissant comme une pilule dans la gueule de la baleine ! Il vit tout cela, en un dixième de seconde, et un sursaut d’horreur le jeta hors d’atteinte, à califourchon sur la branche tant désirée, sans qu’il ait jamais pu comprendre, plus tard, d’où il tira tant de soudaine vigueur et de présence d’esprit.
Alors, un grand soupir jaillit de sa poitrine ; et, recroquevillant ses petites jambes maigres, enlaçant à pleins bras l’arbre sauveur, il osa regarder au-dessous de lui.
Mornes et placides, les deux vaches haussaient vers ses pieds leur mufle baveux, leurs gros yeux stupides, tout absorbées sans doute par le souvenir confus des poignées de sucre ou de sel reçues jadis en des rencontres à peu près semblables. Ne voyant rien venir, la noire beugla longuement, d’un ton de reproche qui parut à M. Hougnot chargé de terribles menaces. Puis les deux bêtes se mirent à brouter au pied de l’arbre, avec des clappements de lèvres et des bruits de molaires qui évoquaient, pour le tremblant personnage perché là-haut, les bâfrées sanglantes d’un repas de cannibales.
Reprenant malaisément haleine, et la face trempée de sueur, M. Hougnot eut un mouvement de regret, qui faillit le flanquer par terre, vers le beau mouchoir blanc, brodé de ses initiales entrelacées, étalé sur le quartier de roche où il se trouvait si bien assis, tout à l’heure encore. Faute de mieux, il s’épongea le visage sur sa manche, où il eut ainsi l’occasion de constater la présence d’un large accroc, de deux petites chenilles et d’une demi-douzaine de fourmis. Et il songea, non sans mélancolie, aux parties de