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par un beau dimanche

Telle était, à chaque arrivée de pratiques, l’invariable plaisanterie d’Eudore, à qui quelque bande de bourgeois en goguette avait enseigné cette antique scie montmartroise.

Les yeux bouffis encore par un sommeil récent, des brins de paille emmêlés dans les cheveux, et précédé de l’âcre relent que dégagent les vieux tonneaux mal rincés, l’ivrogne parut sur le seuil de la cuisine en criant d’un ton goguenard :

— Salut, docteur !… Salut, m’sieur dames !… Vous v’nez pour bouffer ?… Y a rien à manger dans la maison… Faudra bien aller voir ailleurs.

Mais une voix criarde glapit du fond de la cuisine :

— C’est pas vrai, m’sieur l’ docteur !… C’est tout prêt comme vous l’avez commandé… Asseyez-vous, ça s’ra servi dans un quart d’heure !

M. Hougnot et ses filles prirent des sièges, cependant qu’Eudore s’en venait tourner autour d’eux avec la discrète déférence d’un maquignon examinant des bestiaux à vendre.

— Eh bien, Eudore, vous buvez toujours autant ? demanda M. Brusy. Gare à la congestion, mon gaillard !

L’ivrogne se frappa la poitrine d’un vigoureux coup de poing.

— Y’ a pas d’ danger, docteur ! clama-t-il joyeusement. Moi, voyez-vous, je suis Bibi-Trompe-la-Mort ! La vieille a essayé de m’assassiner trois fois, et ç’a été comme si elle chantait Malbrough !

Puis il se mit à conter, avec d’énormes éclats de rire, en beau joueur qui reconnaît les mérites d’un subtil adversaire, les trois tentatives de meurtre que Mme Pocinet avait déjà commises sur la personne de son seigneur et maître :

— La première fois, j’étais saoul, tell’ment saoul qu’ j’ai pas pu monter jusqu’à mon lit et