Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/131

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Une fois, nous poussâmes nos gambades jusqu’aux deux tabié où notre mère nous avait quittés, et découvrîmes seulement alors que, le soir du départ avec les oncles, nous avions oublié le paquet qui contenait notre nourriture. Des chiens errants l’avaient déchiré et mangé ; il ne restait que des débris de chiffons.

Nous versâmes des larmes. Le souvenir de notre désastre nous apparut sous un jour d’autant plus triste que nous étions en train de l’oublier, et ces moments d’enfantine douleur alternaient sans transition avec les heures de débordante joie qui gonflaient nos poitrines. Élevés « dans le duvet », selon l’expression de l’oncle Cosma, fleurs de serre, nous ne connaissions que les plaisirs de la chambre de maman : les danses, les chants, la coquetterie et la mangeaille. Cela, c’était beau. Mais nous découvrions maintenant qu’il y avait un « dehors », et que ce dehors, riche en lumière, embaumé de parfums sauvages, était bien plus beau : nous n’avions pas su jusque-là ce que c’était que de courir derrière un papillon, de caresser une sauterelle verte, d’attraper de gros bourdons cornus, d’entendre les oiseaux chanter sur leur vaste empire, le grillon invisible à la tombée de la nuit