Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/148

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Ainsi, un soir d’ennui mortel, il traînait ses pas lourds dans la rue Darb-el-Barabra, au Caire, où il se trouvait depuis un mois, et entra dans un café-restaurant juif-roumain, — lieu cosmopolite fréquenté par des individus de toutes les conditions et de toutes les moralités. Il n’y avait aucune affinité d’esprit entre les clients de M. Goldstein ; ils se méfiaient les uns des autres ; souvent ils se détestaient. Ce qui les réunissait, c’étaient le brochet farci juif et la tzouika[1] roumaine. Adrien faisait comme eux, quand il pouvait se les payer, et ce soir-là, il le pouvait. Mais son dégoût pour cette compagnie était manifeste. Pour éviter une conversation inopportune, il passa, tête basse et sans saluer, jusqu’au fond de la salle, où se rassemblait la clientèle ouvrière la plus effacée, et où les tables n’avaient point de nappes. De là, il écoutait et observait les gens.

« Quelle ressemblance entre cet homme et Stavro ! » se dit-il mentalement, en mangeant son brochet à l’aide de ses doigts, et en jetant des coups d’œil discrets vers un type assis de profil dans le coin opposé au sien. Fort mal mis, avec une barbe d’un mois, avancé en âge, l’homme

  1. Eau-de-vie de prunes.