Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/154

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les rues sales de Galata, marchant sur les queues d’innombrables chiens galeux, entrant en collision avec les vendeurs de salep, renversant les pèlerins aveugles et les narguilés des fumeurs sur les trottoirs. C’est que j’avais des yeux neufs et une liberté inattendue. Les passants me crurent fou, et un chaouch m’arrêta, sans me toucher, me salua respectueusement, et me dit, avec des mots de politesse qui me firent rire :

« Permettez-moi de vous dire, fils de bey, que c’est indigne de votre père de vous livrer à de tels amusements ! Quel est votre illustre nom ? Où est votre gouverneur ?

— Qu’est-ce que ça veut dire « illustre » et « gouverneur » ? » demandai-je, en ramassant ma culotte qui me descendait sur les genoux.

Et sans plus, je lui tournai le dos. Un homme à cheval allait au trot, et le propriétaire du cheval courait derrière, cramponné à la queue de la bête. Cela m’amusa fort, et je fis comme lui jusqu’à ce que je perdisse le souffle.

Cette première journée de liberté fut la seule de ce temps-là où ma joie fut complète, sans le moindre souci, exempte de toute gêne. J’avais l’envie de faire mille choses à la fois : traverser les ponts, aller