Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/175

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de la semelle, salua, et cria, d’une voix qui faillit me renverser :

« Depuis que Stamboul existe, jamais une femme roumaine avec un œil crevé n’est venue y mettre le pied ! »

C’était plus que convaincant.

Le désespoir s’empara de moi aussitôt que le mirage s’évanouit. Mes larmes coulant à flot sur ses mains parfumées, je priai le bey de bien vouloir me laisser partir. Il s’y opposa :

« Qu’allez-vous devenir en sortant d’ici ? Vous êtes bête comme un mouton. En plus, vous avez le malheur d’être jeune et beau, deux qualités qui ne font fortune en Turquie que lorsqu’on est intelligent. Restez ici. Dans cette maison vous avez tout ce qu’il vous faut, et plus que ce que votre naissance vous faisait espérer. »

J’en fus désolé. Ses mots carillonnèrent comme un glas funèbre. Mais le bey redoubla de prévenances. Connaissant ma faiblesse pour l’équitation, il commanda pour moi un costume de chasse, m’acheta un beau fusil à crosse damasquinée qu’on baptisa la terrible Kyra[1] et, ainsi équipés, nous prîmes un matin, suivis de deux domestiques, la grande route d’Andrinople :

  1. Fusil est également féminin en roumain.