Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/187

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Pourquoi, par exemple, ne se faisait-il pas nourrir par la pitié des gens ? (On sait qu’à Constantinople chaque Musulman a ses chiens publics qui l’accompagnent une fois par jour à la boulangerie où ils reçoivent leur morceau de pain.) Trouvait-il cela déshonorant ? Aimait-il mieux battre la campagne pour chercher une nourriture plus indépendante ? Ou peut-être l’abjecte promiscuité de ses congénères l’écœurait-elle ?

Je le baptisai Loup, nom conforme à sa vie sauvage et digne, et je fis des prodiges de prudence pour obtenir de lui un commencement d’amitié. Il fut avare de ses avances ; mais chacun a sa vie, ses blessures sa propre philosophie ; je respectai sa réserve. Pour lui prouver que je le comprenais, je ne jetais plus la viande directement par terre, mais enveloppée dans du papier. Il le remarqua, probablement, car pour la première fois il se décida à s’asseoir sur ses pattes de derrière et à me regarder en face, tout en se tenant hors de portée d’un bâton.

Loup était entièrement brun, sans race définie et passablement solide. Quant à sa propreté, ma foi, on fait ce qu’on peut lorsqu’on a la vie dure… Ses grands yeux noirs se tenaient un peu trop fermés sur les tristesses de la vie, — certainement,