Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/37

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appuyé sur l’épaule de Mikhaïl, qui fume et se tait, à ta gauche, — tu trembles, mon brave ami ; mais ce n’est pas le froid qui te fait trembler ! Tremblerais-tu de peur ? Ou, — serré entre ces deux démons de ta vie, — frissonnes-tu peut-être sous le souffle de ton destin, qui te pousse, non seulement vers la foire de S…, mais encore vers la grande foire de ton existence, qui commence à peine ?…

Longtemps, longtemps, — sous les reflets d’un crépuscule d’orage, cheminant sur la chaussée, droite comme une corde tendue, entre les rangées d’arbres et entre les champs de blés, — Stavro chanta et se lamenta en arménien. Longtemps Mikhaïl et Adrien écoutèrent sans rien comprendre mais sentant tout. Puis, la nuit les enveloppa et les réduisit à eux-mêmes et à leurs pensées. Des villages et des hameaux succédèrent à d’autres villages et à d’autres hameaux, nids miséreux de tristesse et de bonheur, engloutis par les ténèbres et ignorés par l’univers. La lumière vacillante de la lanterne, suspendue à la charrette et cahotée par elle, découvrait des visions nocturnes, rustiques et pitoyables, qu’elle éclairait un instant et qui disparaissaient à jamais : un chien qui aboyait furieux ; un coin de rideau qui s’écartait