Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/85

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aussi partie de la danse. Comme nous parlions couramment le turc, ils appelaient les deux femmes des patchaouras et moi, kitchouk pézévéngh[1]. Les deux malheureuses se jetaient aux pieds de leurs tyrans, leur enlaçaient les jambes et les priaient de ménager leurs visages :

« Pas sur le visage ! » criaient-elles ; au nom du Seigneur et de la sainte Vierge, ne frappez pas la figure !… Ne touchez pas aux yeux !… Pardon !… »

Ah ! la figure, les yeux, la beauté de ces deux femmes !… Il n’en existait pas une qui eût pu leur tenir tête !… Elles avaient des cheveux d’or, et longs jusqu’aux jambes ; le teint blanc ; les sourcils, les cils et les prunelles noirs comme l’ébène. Car, sur l’arbre roumain, du côté de ma mère, trois races différentes s’étaient greffées : turque, russe et grecque, selon les occupants qui avaient dominé le pays dans le passé.

À l’âge de seize ans, ma mère mettait au monde son premier-né ; mais à l’heure où j’ouvris les yeux, personne n’aurait cru qu’elle était mère de trois enfants… Et cette femme, qui était faite pour être caressée et embrassée, était battue jus-

  1. « Putains » et « Petit maquereau »