Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/90

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sait du sirop sur les charbons qui brûlaient par-dessus le toumbaki des narguilés ; leur offrait à boire dans son verre et cassait le verre pour les vexer, mais revenait une minute après appuyer le bout de sa chevelure sur la bouche de l’homme qu’elle venait de blesser…

Tout cela me mettait en rage, car j’aimais Kyra bien plus que ma mère… Je l’adorais et ne supportais aucune caresse qui vînt d’un autre que moi.

Je me rappelle qu’un soir, pour mettre le comble à ma jalousie, le nœud de sa sandale s’étant défait pendant la danse, elle alla poser son pied sur les genoux d’un moussafir et lui demanda de le rattacher. Vous comprenez quelle aubaine pour le veinard ! Il s’exécuta en allongeant autant que possible son plaisir, pendant que j’ouvrais des yeux de loup ; puis, le vilain se mit à lui tâtonner la cheville et même le mollet. Et elle… eh bien, elle ne disait rien, se laissait faire !… Alors, furieux, perdant la tête, je criai :

« Le Père !… Sauvez-vous !… »

En un clin d’œil, les deux moussafirs enjambèrent les fenêtres et disparurent dans le noir, roulant sur la pente du ravin. Un d’eux, un Grec, dans sa hâte, avait oublié son fez et sa guitare, que ma mère