Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/93

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à ne rien regretter, le jour du Jugement dernier. »

Avec une telle « philosophie » pour guide, on se figure notre empressement à suivre, moi et Kyra, l’exemple de la mère. Ayant sa fortune personnelle mise entre les mains de ses frères, contrebandiers d’articles orientaux, elle se payait tout plaisir que son caprice exigeait, se faisait adorer, changeait d’amants, plus ou moins satisfaits, aussi souvent que de robes, se laissait rouer de coups par le père, en défendant de son mieux son visage, et passait promptement à une nouvelle distraction.

Elle avait même une certaine vertu ; lorsqu’elle se savait trop fautive et craignait que la rage de son mari ne se déversât sur nous aussi, elle tenait la porte verrouillée jusqu’à ce que nous eussions sauté par les fenêtres ; puis ouvrait bravement et encaissait toute la somme, à elle seule.

De retour, quelques heures après, nous la trouvions allongée sur le sofa, la figure couverte de mie de pain blanc trempée dans du vin rouge, pour pomper les enflures et les bleus. Elle se levait en riant comme une folle ; et, la glace à la main, nous disait, en nous montrant sa face meurtrie :

« N’est-ce pas que ce n’est pas grand