Page:Istrati - Kyra Kyralina.djvu/99

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Et la pauvre mère avait raison de dire que ce mort nous empêchait de vivre. Il le fit de plus en plus. Sachant que ma mère tenait à son visage autant qu’à sa vie, il la frappait surtout dans ce centre de sa vie ; et, les derniers temps, la malheureuse devait se soigner des huit et dix jours, pour faire disparaître les bleus et les plaies. Pendant ce temps, il ne pouvait être question de s’amuser, ni de recevoir des moussafirs. Cela la jeta dans la mélancolie, elle ne nous caressa plus comme avant ; et, pour la première fois, je la vis pleurer de désespoir.

Mais ce désespoir lui faisait prendre sa revanche avec une rage décuplée, pour rendre le tyran furieux ; et si bien elle y réussit, que sa furie nous fut fatale.

Un soir, la maison était bondée de moussafirs. Il y en avait au moins sept. Ma mère avait fait accrocher quatre chandeliers aux murs, sans parler du grand lustre du plafond. J’ai compté les bougies : il y en avait vingt-quatre. La lumière était aveuglante. Le jour même, elle avait appelé un serrurier et fait mettre un gros verrou à la porte massive de la cour qui fermait seulement à clef. Ainsi assurée, elle se livra à la joie la plus débordante que j’eusse connue. Je crois encore aujourd’hui qu’elle avait pressenti la fin de sa vie heureuse