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Page:Itinéraire de Cl Rutilius Numatianus, poème sur son retour à Rome, trad Despois, 1843.djvu/37

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moi-même : que de verdoyants rameaux célèbrent notre commune joie : on a élevé aux honneurs mon ami, cette moitié de mon âme. Ô que j’aime à goûter ainsi de nouveau le plaisir du pouvoir ! c’est jouir encore une fois des honneurs dans la personne de mon plus cher ami.

Nous ouvrons nos voiles au souffle de l’Aquilon, aussitôt que l’Aurore a brillé sur son char de rose. La Corse commence à nous montrer ses sombres montagnes ; leur couleur se confond avec celle des nuages qui les couronnent. Ainsi le croissant aminci de la lune s’évanouit peu à peu dans les airs, et, aperçu d’abord, il échappe bientôt aux yeux fatigués. Le peu de largeur de ce canal semble appuyer la fable qui suppose qu’un troupeau de bœufs le traversa â la nage, alors qu’une femme du nom de Corsa, suivant un taureau échappé, aborda au rivage de Cyrnos.

Plus loin, dans la mer, s’élève Capraria ; c’est une île sauvage, pleine d’une espèce d’hommes qui fuient la lumière. Eux-mêmes se donnent le nom grec de moines, parce qu’ils veulent vivre seuls et sans témoins. Ils fuient les faveurs de la fortune, parce qu’ils en redoutent les disgrâces : c’est se faire malheureux par crainte du malheur ! N’est-ce pas le délire d’un cerveau renversé, que de ne pas pouvoir supporter le bien, par peur du mal ? Peut-être est-ce le destin de ces vils esclaves, de s’infliger ainsi le châtiment qu’ils méritent ; peut-être un fiel noir gonflent leur cœur. C’est ainsi qu’Homère attribue à un excès de bile la morne tristesse de Bellérophon ; on dit, en effet, que ce jeune héros, offensé par les hommes et rempli d’une sombre douleur, prit en haine le genre humain.

Ma barque entre dans les parages de Volaterra, dont le véritable nom est Vada, et s’engage dans un canal bordé par des bas-fonds dangereux : Le gardien de la proue regarde devant lui ; c’est de là qu’il dirige le gouvernail par les avertissements qu’il jette derrière lui au