Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/138

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N’était-elle point l’enfant au souvenir de qui s’égrenait l’angoissante chanson ?

Mais Frey, sans doute, était accoutumé à des scènes semblables, car sans manifester la moindre émotion, il s’avança vers la pauvre insensée et lui touchant le bras :

— Lily, fit-il, chasse tes rêves. Reconnais en moi une réalité, ton cousin dévoué.

Une secousse parcourut le corps de la démente. Ses yeux se tournèrent vers son parent, et d’une voix sans expression, semblant indiquer que le sens des mots prononcés échappait à son cerveau embrumé :

— Ah ! mon cousin, redit-elle, mon cousin… bien, bien, bonjour mon cousin !

— Frey Jemkins, continua le milliardaire, Frey Jemkins qui vous a élevée…

La femme inclina la tête, un vague sourire passa sur ses lèvres.

— Oui, oui, je connais Frey Jemkins, le chef des éclaireurs de la prairie… Oui, oui, et le grand bazar de Frisco.

Mais Frey l’interrompit rudement.

— Laissez le passé de côté, Lily… ; ou si vous voulez vous souvenir, rappelez-vous Pariset !

Au nom de son époux défunt, la veuve tressaillit de tout son être ; elle se souleva à demi, puis retomba, sur son fauteuil avec un léger cri.

C’en était trop pour les nerfs de Linérès.

D’un bond, elle fut après de la pauvre femme et s’agenouillant devant elle :

— Mère, mère, bégaya-t-elle éperdûment, reconnais ta petite Linérès !

Mais la phrase s’éteignit dans un gémissement.

La démente, du geste, repoussait l’enfant prosternée à ses pieds.

— Mère, sanglota Linérès…

— Laissez-moi lui parler, interrompit alors Jemkins. J’ai l’habitude de converser avec Lily.

Puis, appuyant l’index sur l’épaule de la malheureuse :

— Lily, gronda-t-il d’un ton autoritaire, Lily, je veux que vous m’écoutiez.

Une expression de crainte agita les traits de l’infortunée. Son regard se fit humble, presque suppliant :

— J’écoute, je promets, j’écoute. Lily écoute toujours.