Mais la gitana lui serra rudement le bras.
— Tais-toi. Ne raille pas ce que tu ne saurais comprendre. Je suis venue ici, je campe depuis trois mois dans les rochers, je t’attendais.
— Ah bah ! tu savais donc qu’ici aurait lieu notre rencontre ?
— Oui, fit-elle d’un ton grave.
— Sapristi ! est-ce aussi la petite croix qui t’a appris cela ?
Elle eut un geste d’inexprimable dédain.
— Pauvre roum… il est fier de son intelligence… Mais je veux le convaincre, puisqu’il est le dispensateur de mon existence de demain.
Et, lentement :
— Les lignes de la main avertissent que l’esprit, jeté dans la vie humaine, a reçu les instructions de la destinée. Tout ce qui doit nous arriver est inscrit dans notre esprit, mais nous n’en avons pas conscience. Il faut donc forcer l’esprit à s’expliquer.
— Diable ! pas commode, laissa échapper Chazelet.
Il regretta aussitôt d’avoir parlé, car le visage de son interlocutrice exprima une profonde pitié.
— Pauvre roum, redit-elle… Ah ! si les années qu’il me reste à vivre n’étaient point liées à sa réussite, comme je l’abandonnerais à lui-même. Mais je dois, pour moi-même, instruire l’ignorant.
On eût cru qu’elle morigénait un petit enfant. Par influence, Chazelet éprouvait l’impression désagréable d’être revenu, par un soudain prodige, à l’âge réputé le plus heureux, celui des pensums et autres menus agréments scolaires.
— Dès longtemps, les gitanas savent forcer l’esprit à dévoiler ses secrets, reprit la bohémienne, ainsi j’ai su que je rencontrerais mon bienfaiteur futur à la passe de Castillo ; qu’il y arriverait, accompagné d’un muletier…
— Que de détails ! plaisanta encore Chazelet, décidément incorrigible.
— J’en ai d’autres qui te surprendront davantage. Je sais ton âge : vingt-six ans, depuis trois jours.
Le jeune homme eut un mouvement si brusque qu’il faillit perdre l’équilibre. Le renseignement donné par Ramrah était d’une rigoureuse exactitude.
— Cela te surprend, reprit la gitana… Que sera-ce si je te prouve que mon esprit m’a appris ton nom ?
— Mon nom… Ah ! par exemple, si tu me le dis…