Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/182

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— Voici donc, ma douce curieuse. Nous étions à la veille de Christmas. J’attendais Jud avec impatience, car il m’avait promis de me prendre avec lui pendant les vacances.

« Le voici enfin. Il m’emmène avec mon petit bagage d’écolière.

« La maîtresse de pension m’embrasse avec effusion ; elle a une larme qui tremblote au bord de sa paupière, mais elle ne dit rien qui puisse m’expliquer cette émotion.

« Une voiture nous attend dehors.

« On part. Seulement, c’est bizarre, nous ne nous dirigeons pas vers la Nouvelle-Orléans. Je connais bien le chemin, et je m’étonne.

« Jud me répond avec embarras que des raisons impérieuses l’obligent à se rendre, avec moi, bien loin de la Nouvelle-Orléans.

« — Alors, dis-je, je ne retournerai plus à la pension ?

« — Non. On t’attend dans une autre, petite sœur. »

« Et puis, il ajoute :

« — Dans la région que nous habiterons désormais, il est mal porté de se tutoyer, même entre proches parents. Prenez, dès ce moment, l’habitude de me dire vous. »

— Oh ! s’écria Grace, je comprends ; il savait n’être pas ton frère, lui. Et il se servait de ce prétexte pour substituer au tutoiement la forme de conversation la plus convenable.

— Sur le moment, je ne me rendis pas compte de cela, continua Lilian. Après tout, je n’avais guère que onze ans. L’idée de Jud me parut amusante, et j’en fis un jeu.

« Les enfants, d’ailleurs, adorent les déplacements qui satisfont leur désir de nouveauté.

« Nous atteignîmes une gare. Nous montâmes dans un train.

« Toute la nuit, nous roulâmes en chemin de fer. À plusieurs reprises, nous changeâmes de convois, à des stations de bifurcation, sans doute.

« Et puis, non, ce n’était pas cela. Depuis, je crois avoir deviné la véritable cause de ces transbordements que l’étude de la carte ne justifie pas.

« Jud Allan avait peur d’un danger pour moi. Il agissait comme l’être poursuivi, traqué, qui cherche à croiser ses traces.