Page:Ivoi - Jud Allan, roi des gamins.djvu/75

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Et avec un geste de dépit, elle se laissa choir dans un fauteuil, où elle s’immobilisa, la figure rêveuse, le regard vague, se berçant des confidences inattendues qui venaient de bouleverser l’orientation morale de sa vie.

Soudain, Linérès eut l’impression qu’un corps opaque s’était interposé entre elle et les objets environnants.

Le rêve se dissipa. Ses yeux regardèrent.

Et ses lèvres s’ouvrirent sur ce monosyllabe stupéfait :

— Vous ?

Debout en face d’elle, respectueux et ému, se tenait l’inconnu dont l’Indienne Marahi lui avait tout à l’heure montré le portrait sur la plaque métallique : Pierre de Chazelet.

— Vous me connaissez ? fit-il d’une voix tremblante, tandis qu’une pâleur s’abaissait sur ses traits.

Et elle, encouragée par le trouble où elle le voyait, répondit :

— Oui… mais vous ?

Il lui présenta à son tour, un disque de métal sur lequel la jeune fille reconnut son image.

— Mon portrait ? Comment ?

— Je ne saurais expliquer. J’étais au milieu de l’Espagne, près de Armencita.

— Ah !

— Une gitana m’a remis ceci.

— Une gitana ?… Et moi, c’est une sorte de voyante, de liseuse d’avenir qui m’a montré votre visage…

— Étrange !

— Mais, continuez… Je m’étonne que ma mère — Linérès prononça ce mot avec une douloureuse inflexion — que ma mère ne se soit pas encore inquiétée de mon absence… continuez.

Il s’inclina, puis doucement :

— Je vous dirai tout, sans rien cacher… La gitana a prononcé ces paroles : « Voici celle que tu dois épouser. »

Le mot sonna en glas dans le cerveau de la jeune fille. Elle jeta les bras en avant comme pour repousser sa pensée.

— Non, non, fit-elle la voix s’étranglant dans sa gorge… Il ne faut pas vouloir m’épouser… Voyez, l’on en meurt.