Ah ! s’il avait livré le misérable Von Karch, il eût évité cette défaite publique dont l’Europe va se gaudir. Il croit entendre déjà les condoléances hypocrites, masquant les plaisanteries qui se chuchoteront à voix basse dans les chancelleries.
Oui, mais s’il avait parlé, Von Karch eût jeté en pâture à la foule stupide, altérée de scandale, le contenu de ses dossiers secrets, et alors, alors !…
Le souverain ferme les yeux. Il ne veut plus voir les curieux qui lui rappellent qu’il est le Maître, que l’on attend de lui une décision. Et il murmure dans un soupir :
— Comme la couronne est lourde !
Un murmure discret le rappelle à lui-même. Il relève les paupières. Il regarde.
Un aérostier militaire se tient figé au pied de la tribune, la main droite appliquée à la visière, la gauche tenant une large enveloppe. L’Empereur tressaille à sa vue. Quelle douleur apporte encore cet obscur soldat ? Et sa voix s’altère pour demander :
— Qu’est-ce ?
— Une missive à l’adresse de Votre Majesté, Sire.
L’aérostier avance un papier. Les yeux du monarque déchiffrent cette suscription :
— D’où émane cette correspondance ?
— Nous l’avons trouvée dans l’herbe, à quelques pas du malheureux aéroplane…
Impossible de tergiverser plus longtemps. Le souverain s’empare de l’enveloppe. Il congédie l’aérostier d’un signe de tête, et puis il reste ainsi, tenant entre ses doigts frémissants le papier mystérieux. Il a peur de lire !
Mais il sent peser sur lui les regards des dignitaires de la Cour. Il voit son chancelier se lever et se porter auprès de lui, ainsi que son devoir l’y oblige.
Alors, d’un effort violent, il se domine. Le secret de ses défaillances, de ses incertitudes, doit demeurer ignoré. Nerveusement, il rompt le cachet, lit. Dans son trouble, ses lèvres s’agitent sans qu’il en ait le sentiment. Il prononce les mots qui frappent ses yeux :
— Miss Veuve.
Il a regardé tout d’abord la signature. Elle ne le surprend pas. Qui donc, sauf Miss Veuve, eût déposé une missive auprès de l’aéroplane incendié.