Une seconde, les deux hommes se considérèrent. D’une voix hoquetante, Berski reprit enfin :
— Alors, c’est son père que vous poursuivez dans cette lutte audacieuse, dont les journaux m’ont apporté les échos. Von Karch c’est lui ! comment le deviner sous ce nom ignoré. Il n’est donc pas mort, lui, comme je le croyais.
— Ni lui, ni elle, laisse tomber Listcheü.
— Ni elle !
Le professeur a un cri affolé :
— Elle non plus… Et mon frère a cessé de vivre parce qu’il espérait la rejoindre par delà la mort.
Lentement, le docteur Listcheü vint à lui, et lui prenant les mains, mettant en sa voix cette autorité étrange que donne le malheur :
— Vous ignoriez le nom de Von Karch. Comment s’appelait donc celle qui accorda sa main à votre frère ?
— Je n’ai pas le droit de conserver un secret vis-a-vis de vous ; mais c’est un nom couvert de honte, un nom que je ne prononce jamais.
— Ce nom doit me permettre de réhabiliter un innocent.
Berski se redressa d’un brusque mouvement :
— Vous avez raison, je dois parler. Margarèthe était de race noble… Oh ! une race déchue, avilie. Elle était fille d’un malhonnête homme, d’un être exclu de la noblesse parce qu’il avait volé… au jeu, et ailleurs.
— Voleur au début ; espion ensuite, et toujours voleur de la pensée des autres.
— Il s’appelait le comte de Kremern, acheva le professeur d’une voix étranglée. Kremern qui, pour éviter la punition de ses fautes, s’engagea dans une mission vers les Hauts Plateaux du Thibet… Il avait décidé sa fille à le suivre… Quelques mois après leur départ, on annonça leur trépas… Voilà pourquoi je n’ai plus de frère, plus de famille… Et cependant, je vous dis, à vous qui vengez une victime : Épargnez Marga ; mon frère lui aurait pardonné.
— Peu de temps après, sans doute, les faveurs monnayées s’abattirent sur Kremern devenu Von Karch, murmura l’aviateur.
Berski considéra le doktor avec étonnement.
— Oh ! balbutia-t-il…, j’entrevois votre pensée. Vous croyez que tout était prévu, voulu, calculé, pour faire libre Marga en passe de devenir riche ?
Listcheü garda le silence. Mais l’expression grave de son visage déce-