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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/271

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

— Qu’est-ce ?

La question passe dans un chuchotement. Ses yeux se fixent sur les lourdes tentures qui masquent les fenêtres, et cachent à tous la clarté des lampes éclairant le travail du souverain.

— Qu’est-ce donc ? répète-t-il à mi-voix.

Il lui a semblé percevoir un bruit insolite, comme un coup sec frappant la vitre de la croisée la plus proche de l’endroit où il se tient.

Un léger haussement d’épaules trahit sa pensée. Il se plaisante, il a été le jouet d’une illusion. Quelle apparence que l’on frappe à sa fenêtre ? À moins qu’une chauve-souris, chasseresse nocturne emportée par son vol cotonneux, ne soit venue donner de la tête, maladroite bestiole, dans les vitres assombries.

Il attend un instant. Un tressaillement parcourt son être. Cette fois, il est sûr d’avoir entendu. Ce n’est plus un coup, mais deux qui viennent de résonner contre le carreau.

Il se gourmande encore. Sur l’étroit entablement de la croisée un ennemi ne saurait trouver place. Quelque volatile blessée ou lasse s’est perchée là, et de son aile engourdie par un long vol, choque les vitres derrière lesquelles se voile le labeur impérial.

Dans la famille des Hohenzollern, il est de tradition d’aimer les innocents habitants des airs.

Le grand Frédéric lui-même, de si haute et si rude mémoire, trouvait plaisir à émietter des gâteaux aux oiselets de la région berlinoise.

Et l’Empereur, à l’idée qu’un passereau souffre, abandonne un instant le travail qui peut modifier le monde. Il va à la croisée, écarte les rideaux. Mais il a un geste de surprise, il fait un pas en arrière.

Sur l’entablement de la fenêtre, il a aperçu, non pas un oiseau souffreteux, mais bien une robuste silhouette d’homme debout, les mains étendues, semblant défier le vertige. Et pourtant la moindre rupture d’équilibre précipiterait le singulier visiteur sur les pavés de la cour, à quinze mètres plus bas.

Dans le cerveau impérial se pressent d’insolubles questions. Comment l’homme est-il parvenu là ? Quelle audace le pousse à braver les dangers de la chute, de la colère du souverain ? Se croit-il à l’abri des cachots sinistres, des forteresses où l’on oublie si aisément le prisonnier réputé dangereux.

— Un criminel, murmura l’Empereur, en laissant retomber le rideau. Un nihiliste ! Un diable rouge !

Il a reculé jusqu’à sa table. Il fait retentir une sonnerie électrique.