jusque-là. Il y eut même dans le ton de Miss Veuve une inflexion affectueuse lorsqu’il poursuivit :
— Je n’avais d’autre arme qu’un appel à l’opinion de tous. Mes ennemis possédaient la libre disposition d’une armée formidable, de flottes imposantes. Moi, j’étais seul. Mais je n’ai pas douté du résultat. La force de la Vérité est infinie. La proclamer, la crier au monde, c’est rassembler le monde sous sa bannière. Je l’ai donc criée.
— Oh oui ! Vous l’avez criée,… souligna pensivement l’Empereur.
L’accent de Miss Veuve se fit suppliant :
— Pardonnez-moi. Plus les forces sont disproportionnées, plus le faible doit frapper fort. J’ai affreusement souffert en frappant ! Pour arriver au coupable, je devais atteindre des innocents : un peuple qui ne m’avait rien fait ; un souverain que je sentais, tout autant que moi-même, victime d’une institution barbare, legs du moyen-âge que l’on s’étonne de voir revivre à notre époque.
Puis, plus doucement encore :
— Il y a trois jours, à Grossbeeren, tout enfiévré encore de la lutte, je rêvais de manifestations désespérées, capables d’épouvanter le monde. L’épouvante, je l’aurais répandue sur des innocents du crime dont j’implore justice. Alors, la réflexion a apaisé mon esprit, une clarté due à un hasard providentiel m’a enseigné la véritable personnalité du malandrin que je pourchasse…
— La personnalité de Von Karch vous est connue ? s’écria l’Empereur, cédant à une irrésistible curiosité.
— Oui, Sire, je vous la ferai connaître à l’instant, après vous avoir dit ce que le désir d’éviter de nouvelles tristesses, à vous et à votre peuple, m’a dicté comme ligne de conduite.
Et, après un bref silence, le visiteur acheva :
— J’ai pensé qu’en me présentant à Votre Majesté, en venant à elle, non plus en menaçant, mais en priant, en vous disant : « Sire, ce que nul n’a pu vous dire sur Von Karch dans votre entourage, moi je le sais et je vous le révélerai. Et de votre grandeur, je sollicite l’indication de la retraite d’un drôle qui fait honte à toute l’humanité. J’attendrai pour le prendre que vous me le permettiez, mais fournissez-moi le moyen d’empêcher sa fuite, son évasion. C’est la mémoire d’un honnête homme que je vous demande, à vous, homme d’honneur, de rendre à l’honneur.
Sans un mouvement, l’Empereur avait écouté. Mais si sa contenance affectait l’impassibilité, les contractions de son visage mobile montraient