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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Tril l’arrêta du geste :

— Non, non, pas comme cela. Vous allez trop vite. Du détail, cher monsieur Brumsen, je désire du détail.

— Que voulez-vous que je détaille ?

— Votre voyage ; la façon dont vous avez acquis la confiance du pauvre homme.

— Oh ! bien facile, allez. En voilà un qui n’a pas le tempérament de chasseur de trésors. C’est un sentimental. Embarqué sur le paquebot qui le conduisait aux États-Unis, il m’a suffi de me présenter comme un malheureux, inconsolable d’avoir perdu sa femme et ses enfants, pour que ce sot m’ouvrit son cœur. Alors j’ai vu sa fille Liesel, j’ai prétendu qu’elle me rappelait une fille disparue ; il n’a plus eu le courage de se séparer de moi. À New-York, il m’a invité à le suivre à la Nouvelle-Orléans. Dans cette dernière ville, il m’a confié le but de son voyage. Il a voulu que je devinsse son compagnon. Lui qui, dit-il, a cru si longtemps sa Liesel morte, il jugeait de son devoir de chercher à consoler un père plus malheureux que lui-même. Enfin, des raisonnements d’imbécile, quoi !

— Ah ! cher monsieur Brumsen, soupira comiquement l’Américain, racontez les faits sans vous livrer à des appréciations personnelles. Vous vous donnez un mal inutile pour prouver que, lorsque l’on vous tient, on serait stupide de vous faire grâce.

Le gamin avait une pose si abandonnée, il semblait si peu sur ses gardes, que l’aventurier crut pouvoir mettre fin à la scène par un coup de force. Brusquement il repoussa la table. Tril, placé en face de son interlocuteur, eût dû être renversé sur le sol.

Mais les errants de la vie tels que le jeune garçon, sont toujours en défiance ; ainsi que le lièvre au gîte, ils écoutent marcher le danger. Tril avait prestement fait une retraite de côté, et sa voix railleuse arrêta net l’agent qui s’élançait.

— Replacez cette table, Brumsen.

L’ordre arracha un cri de rage au drôle. Le lance-embolie, braqué sur lui, eut raison de cette velléité de résistance.

Il exécuta le mouvement commandé, tandis qu’en ses oreilles pénétraient comme des piqûres d’épingle les paroles de son adversaire :

— Monsieur Brumsen, vous travaillez comme une canaille bien sage. Un avis : ne recommencez plus à bousculer le mobilier de l’aimable Petruja, je serais obligé de vous allouer un projectile réfrigérant. Vous deviendriez un homme de glace. Le sorbet Brumsen.