Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/386

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
376
L’AÉROPLANE-FANTÔME

Un instant après, la barque se rangeait le long du bordage. Une silhouette humaine se dressait, escaladait l’échelle avec la prestesse d’un clown, et sautant sur le pont se plantait devant Von Karch en disant :

— M. Von Karch.

Celui-ci ne put retenir une exclamation stupéfaite.

Brumsen était grand, sec, solidement charpenté, âgé d’environ quarante ans. Le nouveau venu en comptait peut-être seize. C’était un jeune métis à la physionomie moqueuse, vêtu du pantalon mexicain ouvert sur le côté de la jambe, et agrémenté de boutons dorés, la taille emprisonnée dans une large ceinture de soie, sur laquelle bouffait une chemise de laine, agrémentée de broderies filigranées d’or. Le visiteur tenait respectueusement à la main, sa coiffure, une simple toque de drap brodée également.

— Mais vous n’êtes pas Brumsen, réussit enfin à prononcer l’espion.

L’autre s’inclina, et dans le baragouin étrange de la côte du centre Amérique, véritable sabir composé de mots espagnols, français, anglais, voire même hollandais :

— Silence, conduis-moi dans ta cabine. Les autres n’ont pas besoin de savoir pourquoi je le remplace.

Impressionné par le ton du métis, Van Karch murmura cependant :

— Au moins, apprends-moi ton nom.

— Manuelito. Cela ne te renseigne pas. Tu comprendras seulement quand j’aurai parlé.

L’espion hocha la tête à plusieurs reprises. La défiance, incessamment en éveil chez cet être de ruse, lui soufflait tout bas qu’il y avait peut-être imprudence à consentir au tête à tête demandé par l’inconnu. Il prononça lentement :

— Tu sais que je porte une cotte de mailles à l’épreuve du meilleur poignard, et que ma main ne quittera pas mon revolver.

Le gamin se prit à rire franchement.

— Je me doutais bien que tu ne m’accorderais pas aisément ta confiance. Fais-moi fouiner par tes matelots. Tu seras certain que je n’ai aucune arme offensive ou défensive.

Cette fois, le visage de l’Allemand s’éclaira.

— Viens donc, car aussi bien, j’ai hâte de savoir pourquoi Brumsen se fait suppléer à notre rendez-vous.

Manuelito le suivit, examinant le navire avec la curiosité d’un terrien se trouvant par hasard à bord d’une de ces villes flottantes que sont les modernes steamers.