Un bruit de pas parvint aux deux explorateurs. Des pas assurés, ne cherchant aucunement à dissimuler leur résonance sur le sol. Les pas de gens qui se croient à l’abri de toute surveillance étrangère. Le son se rapprochait accompagné maintenant de froissements de branches.
— C’est de là-bas que l’on vient, chuchota Manuelito, désignant la direction de l’Est ; les promeneurs sont sous les arbres ; on pourrait se cacher et les reconnaître avant de se montrer.
Tout en parlant, il s’engouffrait dans les buissons, Von Karch le suivit. Entre les branches, ils observèrent le terrain.
L’attente ne fut pas longue ; à vingt mètres de la cachette, deux personnes jaillirent brusquement des fourrés : un homme, une femme.
Les nouveaux venus portaient sur une civière grossière, façonnée de branches recouvertes de leur écorce, une sorte de caisse de la dimension de ces coffrets anciens désignés sous le nom de « caves à liqueurs ». Ils parvinrent sur la bande de terrain, éclairée par la lune. Von Karch s’exclama :
— Eux !
Et il bondit hors des buissons, imité aussitôt par Manuelito.
Un double cri salua leur apparition. Les porteurs laissèrent tomber leur fardeau à terre, le claquement de revolvers armés annonça qu’ils se mettaient en défense.
— Eh ! Monsieur Tiral, s’écria cordialement l’espion, ne reconnaissez-vous pas vos amis ?
— Herr Von Karch ! riposta l’ancien comptable.
Et faisant disparaître son revolver, il accourut, les mains tendues vers l’Allemand, tout en prononçant des paroles de bienvenue :
— Quelle bonne surprise ; je suis heureux de vous voir !
Le traître se laissait serrer les mains.
— Une bonne surprise, cher Monsieur Tiral, fit-il enfin, je doute que vous conserviez cette façon charmante d’envisager ma visite.
— Et pourquoi ne la conserverais-je point ? Je vous dois la résurrection de la raison de ma Liesel. Approche, Liesel ; ne veux-tu pas exprimer, toi aussi, ta reconnaissance à l’homme excellent qui m’a permis de t’adorer, de te donner toutes les bonnes choses qu’il m’a été interdit de te prodiguer durant ton jeune âge.
Liesel s’avança sans enthousiasme. Elle tendit la main à l’espion, mais sur son visage étrange flottait une énigmatique expression de malaise qu’elle s’efforçait de dissimuler. L’Allemand ne parut pas la remarquer. Il reprit :