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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Puis, comme le travail est le plus sûr défenseur contre les tentations, que le Satan cornu sème sous les pas de la triste humanité, Kopling Bilbard avait peu à peu repassé tout son service au petit Joé Fairlane ; ainsi se nommait son adopté.

Le gamin détenait les trousseaux de clefs, faisait les rondes, surveillait les guichetiers, se réservait le soin des prisonniers intéressants, ce qui signifie les captifs ayant des ressources suffisantes pour assurer quelques profits à leur gardien.

Seulement, si Joé s’acquittait de sa tâche à la satisfaction du gardien-chef, s’il remettait religieusement à celui-ci la presque totalité des « pourboires » obtenus des prisonniers, (cela est défendu par les règlements aux gardiens, mais Joé n’ayant point ce titre, le règlement ne pouvait décidément le viser) si, en un mot, Joé se montrait un employé modèle, il avait emprunté à ses fonctions une importance telle, qu’il en arrivait presque à protéger son protecteur.

Tout le monde reconnaîtra que pareille chose est très vexante, et Kopling Bilbard était vexé, positivement. Un vieux soldat doit commander aux enfants de troupe, par la queue du diable ! Autrement, un sergent-fourrier lui-même ne s’y reconnaîtrait plus.

Joé Fairlane était un détestable indépendant enfant de troupe !

Ainsi, à cette heure, devant la grande porte de la prison, sur le banc où Kopling Bilbard avait l’habitude de s’affaler, pour se reposer du travail écrasant de son protégé sans doute, le petit bonhomme, gravement installé à côté du gardien-chef, discutait avec celui-ci, sans rompre d’une semelle.

— Je vous dis qu’il est quatre heures moins le quart, Joé, répétait l’homme avec impatience.

Ce à quoi le gamin riposta du ton le plus aimable :

— Je vous respecte assez pour vous croire, master Bilbard, sans aller consulter le cadran de l’horloge de la cour.

Les yeux du glorieux débris roulèrent furieusement dans leurs orbites, seulement la formule du petit Joé était trop polie pour qu’il fût raisonnable de se fâcher.

— Je ne mets pas en doute votre respect en ce qui concerne l’heure, garçon. Seulement je vous demande de l’étendre à autre chose, et quand je vous dis…

— Que la jeune dame et son frère, sir Péterpaul, sont auprès du prisonnier français, quand vous me dites cette chose parfaitement réelle, je vous réplique, moi, que leur visite peut durer jusqu’à quatre heures exactement, et que je ne dois pas l’abréger.