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Page:Ivoi - L’Homme sans visage, 1908.djvu/12

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L’HOMME SANS VISAGE

tation à dîner, quand un coup de sifflet l’arrêta sur mes lèvres.

Il me quitta, courut à une table encombrée de journaux au-dessus de laquelle se balançait un tube acoustique.

— C’est le ministre, me lança-t-il, excusez.

Et, approchant ses lèvres de l’orifice :

— Vous désirez, Monsieur le Ministre ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

— Oh ! bien… de suite.

Il lâcha le tube, oubliant dans son empressement d’y replacer le sifflet avertisseur, et tout en allant vers sa porte :

— Le Ministre me demande… Pardon… Attendez-moi… Tenez, là, sur la table, des journaux…

Pfuit ! il s’était levé, la porte s’était refermée.

Ces allures trépidantes des Français m’interloquent toujours un peu.

En Angleterre, nous nous hâtons avec plus de calme.

Je ne marque point ici une préférence, oh non ! J’indique une différence qui, je le répète, me trouble, sans doute parce qu’elle va à l’encontre des habitudes que j’ai contractées dès le premier âge.

Je fus donc un moment avant de profiter de l’indication jetée par Laffontis en sortant.

Lui avait dû déjà descendre l’étage et avoir pénétré chez le Ministre.

Je m’approchai donc de la table pour choisir un journal, mais, comme je me disposais à prendre au hasard l’un des quotidiens du matin, un fait inattendu me fit changer d’idée.

Un murmure indistinct s’échappait du tube acoustique placé au-dessus de la table.

Laffontis avait oublié d’y réintégrer le sifflet et l’appareil m’apportait un écho de son entretien avec le Ministre.

D’un geste brusque, je saisis le tube et l’appliquai à mon oreille.

Oh ! je reconnais facilement que ce n’était pas d’un gentleman de chercher à surprendre des secrets ministériels, mais c’était d’un vrai journaliste. Or, depuis le reçu de la dépêche du patron, je n’étais plus un monsieur quelconque, encerclé par des convenances mondaines. J’étais seulement un reporter, à l’affût de nouvelles sensationnelles, susceptibles de justifier une édition spéciale du Times.

Au surplus, si Max Trelam, gentleman, se reprocha quelque peu son acte, Max Trelam, correspondant du Times, faillit abandonner le tube acoustique pour se serrer la main.

Car voici ce que ce brave, ce digne tube, providence annulaire de ma curiosité professionnelle, m’apportait :

— Vous avez compris, Laffontis, fit la voix nette, précise, autoritaire du « Grand Georges ».

— Parfaitement. Dans les rapports avec la presse, ne parler que de l’incident de Casablanca. Si l’on me questionne sur le cambriolage du Foreign-Office, le coffre-fort, le document, traiter cela légèrement, comme une chose qui ne nous concerne pas.

Donc, mon Directeur avait bien jugé. La France se trouvait menacée, de même que l’Angleterre, par la disparition de ce damné document.

La conversation continuait, ne me permettant pas les longues réflexions.

— C’est cela même, le « Grand Georges » reprenait la parole. — Inutile d’énerver l’opinion. Si nous avons la guerre, on le verra bien. En tout cas, nous ne l’aurons pas cherchée. Or, si la nature de la pièce dont il s’agit était connue, je ne sais pas trop si nous réussirions à obtenir le calme de nos journaux. Oh ! je les excuserais, car vraiment, moi-même je suis à bout de patience devant l’attitude tracassière, sournoise de nos voisins de l’Est. Seulement, je me contiens. En ne disant rien, il n’y aura de notre part aucune provocation, aucun de ces mots malheureux qu’aggravent les diplomates. Le mot d’ordre pour nous doit être : La main sur nos armes et bouche close.

Puis ironique, avec un de ces brusques retours de gaminerie qui ont chez lui tant de saveur :

— C’est égal, Laffontis, c’est bien