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Page:Ivoi - L’Homme sans visage, 1908.djvu/28

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L’HOMME SANS VISAGE
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leur. Celle-ci s’apaisa peu à peu. Concepcion put regarder autour d’elle.

De Niète, plus de trace.

Affolée, la camériste monta jusqu’à la terrasse. C’était là que devait aboutir la corde.

Rien, personne !

Les ravisseurs et leur victime semblaient s’être évanouis en fumée.

La marquise s’arrêta une minute, comme pour me laisser le loisir de déguster son histoire.

Le fait est que j’avais besoin de respirer, de remettre en ordre mes idées.

Cet enlèvement audacieux, en plein cœur de Madrid, à faible distance des artères les plus fréquentées, la bizarrerie du procédé employé, cela me mettait dans la disposition du lecteur absorbé par les inventions stupéfiantes de certains romans-feuilletons.

Ce lecteur-là peut se ressaisir. Il quitte le volume et il se retrouve dans la normale.

Tandis que moi, j’étais en plein feuilleton réel. La marquise n’était point un mythe, ni M. de Holsbein, ni cette blonde Niète que je ne connaissais pas encore.

— Et le comte nous reçoit, après un événement si cruel ?

L’accent de la jeune femme se fit sec, dur pour répondre.

— On l’y a forcé.

— Qui donc a imposé pareille épreuve à un père ?…

Elle ne me laissa pas terminer.

— Attendez, avant de juger, M. Max Trelam. Je reprends mon récit. Conception finit par où elle eût dû commencer. Elle revint dans cette demeure, joignit le comte et lui fit part de l’événement.

Mais elle achevait à peine qu’un valet remettait à M. de Holsbein, une lettre qu’un commissionnaire venait d’apporter. L’homme attendait dans l’entrée, que l’on voulût bien lui dire s’il y avait une réponse ou non.

Le comte ouvrit cette lettre. Elle était ainsi conçue :

— Comment, balbutiai-je, vous savez le contenu ?…

— Oui.

— Cela me paraît inexplicable.

— Qu’importe, n’êtes-vous plus disposé à m’obéir sans réclamer d’éclaircissements ?

— Ne le croyez pas, Madame. J’ai promis.

— En ce cas, sachez vous contenter de ce que je puis vous confier.

Son accent s’adoucit pour reprendre :

— Donc, la lettre disait ceci : « Comte, votre fille Niète mourra ce soir si vous n’exécutez pas de point en point ces instructions. Elles sont simples, du reste, et vous paraîtront sans doute plus faciles à accepter que le trépas de votre enfant. »

— Horrible, fis-je malgré moi.

Elle ne parut pas entendre.

—  « Dans la partie ancienne de votre habitation, existe la Chambre Rouge, ainsi nommée de la couleur de sa tenture et de sa cheminée de marbre ornée des armes de dom Priola d’Avreda, grand prieur de l’Ordre des Bartolomites. Dans cette salle et sur la table aux incrustations de cuivre, laquelle en occupe le centre, vous laisserez, de neuf heures à minuit, sans que personne soit dans la salle, le traité que vous avez volé au Foreign-Office…

— Hein ? clamai-je.

— … sous le déguisement d’un ouvrier ravaleur… Ceci est ma volonté et je signe pour bien vous démontrer que je serai sans pitié : X 323.

Cette fois, je restai muet.

Encore ce nombre 323.

Ceci et aussi l’accusation lancée par mon interlocutrice contre le comte de Holsbein, accusation de cambriolage du cabinet de notre Premier, à Londres, m’enlevait jusqu’à la faculté de respirer.

Quelle effrayante succession de révélations !

Et la marquise acheva paisiblement :

— On chercha le commissionnaire pour lui répondre ce simple mot : Convenu. Mais le porteur du message avait disparu, sans que les domestiques, affairés par les derniers préparatifs de la réception, se fussent même aperçus de son départ.