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Page:Ivoi - L’Homme sans visage, 1908.djvu/44

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L’HOMME SANS VISAGE

Je la jugeais stupide, et je ne me serais pas expliqué que j’y eusse résisté.

Bien plus, je me félicitais de m’être décidé à une visite ridicule à une porte fermée.

Si vous ne comprenez pas encore, c’est qu’il n’y eut jamais, dans votre existence, des yeux bleus. Vous me faites l’effet de ces navigateurs d’eau douce plaisantant la tendresse du marin pour le phare ami, qui jette des lueurs de réconfort dans la nuit.


XI

LA FATALITÉ SE PRÉCISE


Brrr ! un frisson…

La petite porte vient de tourner sur ses gonds avec un léger grincement, c’est pour cette cause que j’ai frissonné.

Comme je suis impressionnable, ce matin.

Et quelle est cette jeune Madrilène qui se montre sur le seuil ?

Par mon block-note ! c’est Conception.

Mais oui, la brune camériste en personne.

Si elle me voit, elle va se demander ce que je fais là.

À ma propre personne, je pouvais répondre par une phrase dédaigneuse. Mais à Concepcion, je ne saurais même donner un mot d’explication. Ma respectabilité s’y oppose.

Alors, elle pensera ?…

Et ce qu’elle pensera m’ennuie beaucoup. Rien n’est aussi désagréable que de prêter à rire à la domesticité.

Tout cela se presse dans ma tête avec la rapidité de l’éclair zigzaguant dans la nue.

Impossible de me dissimuler, dans cette ruelle resserrée entre deux murs gris, ne présentant aucune brèche praticable. Mon moi raisonnable me décocha ce trait :

— Tu la trouvais si poétique, tout à l’heure.

Je l’aurais certainement secoué d’importance ce « moi » impertinent ; je n’en eus pas le temps.

Concepcion m’avait vu, car elle marchait tout droit vers moi, avec des démonstrations joyeuses, dont l’exagération méridionale me médusa.

En trois sauts, elle fut devant moi, et bredouillant, dans son empressement à s’expliquer :

— Du pavillon, j’ai reconnu le señor, et je me suis empressée d’ouvrir…

— D’ouvrir, pourquoi, murmurai-je, ahuri par la tranquille audace de cette soubrette espagnole ?

— Santa Virgen ! est-ce vous, señor, qui le demandez ! Après nos pleurs de cette nuit, vous ne concevez pas que nous avons besoin d’un ami sûr et fidèle…

Cette jolie fille me bouleversait.

Il était clair qu’elle réclamait mon assistance pour sa jeune maîtresse… J’eus une seconde de présomption. Je pensai que Niète elle-même l’avait dépêchée vers moi. Et tout ravi de cette idée, je prononçai :

— Alors, elle m’attend ?

Un éclat de rire de la fille de chambre me fit aussitôt repentir de mon mouvement avantageux.

— Elle, vous attendre. Oh ! le pauvre agnelet sans tache, bien certainement non. Sait-elle seulement votre existence. Elle était si désorientée cette nuit que, peut-être, elle ne se souvient pas de l’aide que vous nous avez donnée.

Non, ce n’est point là ce que je voulais exprimer ; mais bien que vous avez été très bon pour moi, pour Niète, hier au soir, et que vous ne refuserez pas de m’aider encore aujourd’hui.

Je me mordis les lèvres, la camériste avait-elle l’intention de me prendre à son service ?

Elle continuait cependant :

— En vous quittant, nous avons regagné l’appartement de la señorita. Tout le monde dormait déjà, seul le comte veillait. Il était dans son cabinet de travail. Je songeai qu’il ignorait le retour de la señorita et je chuchotai :

— La señorita pourrait rassurer son père.

Ah ! señor, elle me saisit le bras, elle