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Page:Ivoi - L’Homme sans visage, 1908.djvu/64

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L’HOMME SANS VISAGE
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çons d’étage et les femmes de chambre, j’ai interrogé tout le personnel. Aucun n’a entendu parler du Puits du Maure.

— Voyons, ce n’est pas sérieux, ce doit être aux environs de l’Armeria.

— Oh ! proteste-t-elle, cela n’est sûrement pas. Ma famille habite tout près du Teatro Real (théâtre royal), à deux pas de l’Armeria… J’ai grandi là et je saurais.

Elle m’agace avec ses minauderies incessantes. Je la congédie avec un remerciement sec.

Décidément, dans les hôtels on ne peut jamais obtenir ce que l’on souhaite.

Où ai-je eu la tête de vouloir me renseigner ici ?

Le premier agent de la police madrilène m’indiquera l’emplacement du Puits.

Comment n’y ai-je pas songé de suite… C’est pourtant l’A. B. C du reportage, interroger le policeman, le cabby (cocher), le roulant, mendiant ou autre, et enfin le boulanger, ce négociant en rapport avec toutes les classes de la société.

Oui, mais je devais m’apercevoir que l’A. B. C. ne suffisait pas lorsqu’il s’agissait du Puits du Maure.

Les agents de la police municipale madrilène sont fort aimables, chacun est muni d’un petit livret contenant l’énumération des rues, boulevards, impasses, plazas (places) et plazuelas (petites places). Ils le feuilletaient avec complaisance pour répondre à ma question.

— Le Puits du Maure, nous disons… Voyons… Puits… Puits… Je ne vois pas cela. Vous êtes certain du nom… Ce ne serait pas le puits de Cristal, que vous cherchez ?

Et autres suppositions aussi saugrenues. Au troisième agent interrogé, j’abandonnai tout espoir d’être renseigné par la force publique.

Au tour des cochers, en ce cas.

Ces industriels sont également aimables. Le ton n’est plus le même. Il se mélange d’une familiarité affectueuse.

— Le señor Inglese est forcément un client. Tous les Inglese sont la providence des cochers… C’est un devoir de les renseigner… Seulement, je n’ai jamais entendu parler du Puits du Maure.

Et le brave automédon hèle un collègue qui passe « en maraudeur » à quelques mètres de nous.

— Eh ! petit frère, le señor veut que je le conduise au Puits du Maure… Tu connais ça ?

L’autre gonfle ses joues, retient son cheval d’une traction sur la bride, puis rendant la main avec un haussement d’épaules :

— El señor s’amuse… Le Puits du Maure, c’est le petit collier de rayons de soleil.

Je comprends ce que signifie la locution. Le Collier de Soleil est un conte populaire, dans lequel un « loustic » s’amuse aux dépens d’un garçon simple d’esprit en l’incitant à ramasser des rayons de soleil pour en faire un collier à sa fiancée.

J’ai, par bonheur, affaire à un cocher de bonne composition.

— Non, non, je ne crois pas cela… le señor n’a pas cherché à rire à mes dépens… Seulement, si Alfredo, c’est mon collègue, ne connaît pas le puits du Maure, c’est qu’il n’existe pas… On aura noué le petit collier au señor, probablement.

Aux yeux de ce chevalier du fouet, je passe pour un imbécile, et je dois le remercier de ne point m’invectiver par-dessus le marché.

C’est exquis.

Eh ! s’il ne s’agissait pas du document de lord Downingby, j’abandonnerais la recherche du Puits du Maure.

Mais le moyen, quand on est correspondant du Times ?

Puis, il convient d’être franc vis-à-vis de soi-même… Une forte dose de curiosité personnelle me pousse à m’acharner à la poursuite de ce puits qui semble me fuir.

J’arrête les mendiants crasseux qui, moyennant le don d’une peseta, me déclarent ironiquement ignorer jusqu’au nom de mon puits.