Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/119

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sera la tienne… Viens, enfant béni en ta jeune raison, chevalier de mon cœur, allons quérir le broc, grâce auquel nous vaincrons les maléfices de la nuit.

Cinq minutes après, tous deux pénétraient dans l’auberge délaissée un instant plus tôt par l’ivrogne. Espérat se fit remettre une cruche de vin, où il versa, tandis que son compagnon, assis sur un banc, soufflait d’aise, une bouteille d’eau-de-vie. Puis, ayant payé le cabaretier, il sortit, traînant à la remorque le pope et portant le broc empli de liquide.

Les croix dressées dans la campagne en souvenir d’un événement tragique sont assez rares dans les environs de Saint-Dizier.

Néanmoins, du village de Perthes au château du Rochegaule, il s’en trouvait deux : celle des Cosaques, située sur la grand route, à son croisement avec le chemin d’Arrigny à Sermaize, l’autre entre cette route et les rives de la Marne. Cette dernière s’appelait la Croix Baudouin.

Sans que l’ivrogne en eût conscience, le gamin se jeta avec lui dans un sentier de traverse conduisant à celle-ci. Quelques centaines de pas les amenèrent auprès du monument grossier, et le désignant, Espérat déclara sans sourciller :

— Voici la Croix des Cosaques.

Ne connaissant ni l’une ni l’autre, Ivan Platzov ne pouvait protester. Il s’installa donc sur le sol, le dos appuyé au montant de la Croix Baudouin et, joyeux de se sentir enfin en équilibre stable :

— Passe-moi la cruche, chevalier, le vin n’est pas seulement curatif de l’humidité, il est préventif… réchauffons-nous avant d’avoir froid.

Son interlocuteur s’empressa de déférer à ce désir. L’ivrogne avala une longue lampée, puis déposant le vase à portée de sa main :

— Oh ! oh ! ce tavernier t’a traité en gentilhomme. Ce vin est meilleur que celui qu’il me servit tantôt.

Et hochant la tête d’un air entendu :

— Depuis sept ans que je suis en France, je n’en bus jamais de plus agréable au palais. Ce vin est angélique… Angelicum vinum beatificat cor hominum.

L’eau-de-vie mélangée au breuvage expliquait assez la réflexion de l’ivrogne. Mais les dernières paroles avaient fait tressaillir le gamin ;

— Depuis sept ans, répéta-t-il, vous ne suivez donc pas l’armée russe ?

— La suivre… non pas, chevalier… je l’ai précédée.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?… Ah ! mon jeune ami… tu es curieux, curiosus scien-