Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/257

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La figure de d’Artin s’était éclairée. Sa joie perfide lui donnait une expression satanique.

— Eh, c’est ma foi vrai, fit-il en réponse à l’exclamation de Milhuitcent, vous avez habité Stainville, seigneur Espérat, vous reconnaissez le curé…

— Mon maître, murmura le gamin.

— Et aussi le maître d’école ?

— Mon père.

— Ma foi, ricana le vicomte, voilà qui assure une saveur particulière à l’aventure. Voyez-vous l’effet dans les gazettes… Un fils, mis en présence de son père, aveuglé par un stupide dévouement à l’ogre de Corse, un fils, dis-je, rompant les liens qui l’attachent à cet individu, et lui jetant à la face le : Vive le Roi, des sujets féaux de Sa Majesté. Ce sera superbe, tout simplement.

À la raillerie barbare, Espérat ne répondit pas.

Ses mains avaient disparu derrière son dos.

Elles faisaient doucement tourner le bouton de la porte du verger.

Mais une ombre couvrit le front du jeune homme ; le battant ne s’ouvrit pas. La porte était fermée à clef.

Il fallait renoncer à l’espoir vague, né de l’émotion du gamin. Ouvrir, et fuir, fuir loin de ce lieu où son père allait expirer, l’on voulait le forcer à flageller le condamné d’un cri de lèse-patriotisme.

Du coup, les paupières d’Espérat se baissèrent. Il n’osait plus regarder les captifs qui s’avançaient lentement, au milieu de leurs gardiens, vers le couloir étroit du Trou.

Et d’Artin, riant toujours, quitta un instant Bobèche et Milhuitcent. Il présida au placement des prisonniers, juste au bord du Trou, où ils tomberaient frappés par les balles ; il faisait ranger le peloton d’exécution sur deux lignes, adossées, l’une à la maison, l’autre au mur du verger.

Ces dispositions prises, il éleva la voix, et d’un ton de commandement :

— M. Bobèche, seigneur Espérat, venez affirmer votre inaltérable attachement au roi en présence de ces rebelles.

— Espérat, répétèrent les condamnés en portant les yeux vers les jeunes gens.

Jusqu’à ce moment, ils ne les avaient pas vus ; mais alors ils les aperçurent et Tercelin tendant les bras, s’écria :

— Espérat ! Espérat ! mon enfant. Je pourrai donc t’embrasser avant de mourir !

Ces gens étaient venus là pour assister à l’exécution de partisans, cap-