Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/296

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À un instant, les mains d’Espérat s’abattirent sur ses genoux, comme si elles avaient été trop pesantes pour ses bras, et le gamin montra sa face, crispée, sur laquelle roulaient des larmes de rage et d’impuissance.

Il resta quelques secondes ainsi, tel une statue de la douleur ; puis par degrés son regard trouble se clarifia. Il tourna la tête dans tous les sens, semblant se demander s’il n’était pas le jouet d’un rêve.

Se soulevant sur les genoux, il se pencha en avant ; ses yeux se portèrent alternativement sur les deux berges et s’emplirent d’un rayonnement.

— Bobèche, fit-il d’une voix tremblante.

Le pitre tressaillit, arraché à ses réflexions pénibles.

— Que veux-tu ?

— Tu vois les bûchers des Prussiens ?

— Je ne les vois que trop…

— Mais ne remarques-tu pas… ?

— Quoi ?

— Qu’ils sont moins éclatants.

— Moins… ?

Bobèche se mit sur les genoux comme son interlocuteur, et après une minute de silence.

— Ma foi, grommela-t-il,… si,… il me semble. On dirait qu’une étoffe légère est interposée entre la flamme et nous.

— C’est cela… c’est cela.

— Mais qu’est-ce que cela fait ?

— Le brouillard de la rivière se lève.

— Le brouillard ?

— Il va s’épaissir aux approches du jour… et peut-être…

Le visage du pitre s’épanouit :

— Peut-être, veux-tu dire, il deviendra assez opaque pour couvrir notre fuite.

— Oui.

Le cœur battant, les messagers de l’Empereur se turent. Espérat ne s’était pas trompé. Peu à peu, des fumées légères traînèrent à la surface de l’eau pour s’élever ensuite lentement dans l’air.

Au bout de vingt minutes, il ne pouvait plus y avoir de doute ; le brouillard matinal se formait. D’instant en instant la clarté des foyers ennemis diminuait, se perdant au milieu des flots cotonneux de la brume.

Les berges devinrent imprécises, puis ne furent plus qu’une ligne grise, puis disparurent complètement.

— À Soissons, commanda alors Milhuitcent d’une voix frémissante.